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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1145

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Russes le même penchant à symboliser, à déguiser l’idée, soit politique, soit religieuse, sous le voile de l’allégorie. On remarque surtout ce caractère dans les œuvres poétiques des deux pays. Comme Pouchkin, les plus grands poètes tchekhs enveloppent leur vraie tendance du plus profond mystère. C’est ainsi que Jean Kolar a conçu et exécuté d’un bout à l’autre sa fameuse épopée de la Slavy Dcera (la Fille de Slava)[1], épopée lyrique consacrée à chanter les exploits primitifs et les souffrances séculaires des divers peuples slaves dans un langage plein de richesse et de grâce, où l’idée s’enveloppe toujours de magnifiques images, mais dont le but final ne brille qu’aux yeux des seuls initiés.

Ce qui distingue le mouvement de renaissance des lettres tchèques, c’est l’espèce de culte religieux avec lequel ses adeptes s’y livrent comme à une mission sacerdotale, comme au devoir le plus sacré de leur vie. Le clergé tchekh lui-même est le premier à identifier ainsi sa religion avec sa patrie. Les plus grands patriotes et les plus zélés slavistes dans la Bohême, comme dans la Moravie et la Slovakie, sont les prêtres. Kolar appartenait au clergé. Un autre curé également slovak, Holy, dans une épopée en douze chants, Svatopluk, a chanté la chute du premier grand empire fondé par les Slaves sous le nom d’empire morave, et qui rivalisa quelque temps avec l’empire germanique. Dans un second poème, Holy célèbre l’Etablissement de l’Évangile chez les Slaves par Cyrille et Méthode. Ses tendances sont les mêmes que celles de Kolar; mais il n’a ni l’énergie, ni la richesse, ni la variété de style de son rival. Un autre prêtre, Matthieu Klacel de Brünn, s’est surtout acquis de la célébrité comme poète philosophe. On peut dire que c’est le plus pur moraliste de la Bohême actuelle; mais sa pensée, trop austère et trop dénuée d’images sensibles, en contracte quelque chose de sec et de triste qui l’empêche de devenir populaire. Les mêmes qualités et les mêmes défauts se remarquent, quoique avec une tendance morale différente, dans les écrits de Ladislav Tchelakovski, qui, philologue avant tout, conçoit la poésie même au point de vue de la comparaison des langues, des nationalités et des époques littéraires.

Depuis la mort prématurée de Kolar, le plus illustre des poètes tchekhs est incontestablement Votsel. Après avoir consacré son premier poème, les Przemislavtsi, à chanter l’antique dynastie de Przemislav et les héros du moyen-âge bohème, il a publié enfin, comme couronnement de toutes ses œuvres, le Labyrint Slavy (le Labyrinthe de Slava), épopée lyrique à la façon de toutes celles des Bohèmes, dans laquelle il pronostique le dénoûment de notre triste époque et les gloires

  1. Slava, personnification divinisée du génie slave.