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excellent système, plein de décousu, mais de précision, de stricte investigation et de netteté, de franchise et de crudité dans l’expression, — auquel notre mode de couleurs, d’ornementation, d’analyse hypothétique et d’enjolivemens fantastiques a succédé, mais qu’elle n’a pas remplacé. Quant au style, il est sobre sans grandes prétentions, parfois énergique sans recherche, et souvent éloquent ; il a de la concentration et cette espèce de force agressive dans les mots et les épithètes qu’ont souvent les écrits des partisans politiques même d’un esprit ordinaire. L’Uncle Tom’s Cabin est donc un livre intéressant, mais dont le grand mérite est qu’il dit précisément ce que l’auteur a voulu lui faire dire, et qu’il a la portée que l’auteur a voulu lui donner.

Nous sommes dans le Kentucky, sur les domaines de M. Shelby, propriétaire considérable, maître bienveillant, comme le sont en général les propriétaires d’esclaves du Kentucky, mais imprévoyant comme un Américain, grand spéculateur et trop confiant dans les chances aléatoires, en vrai Yankee qu’il est. Évidemment il ne vendra jamais ses esclaves pour la satisfaction de retirer quelques maigres profits de sa propriété humaine ; mais quoi ! la nécessité est une grande déesse, et les lettres de change, quand elles sont souscrites, veulent inflexiblement être payées. À côté de sa demeure s’élève une jolie cabane construite en bois, ayant vue sur un petit jardin. Ses murs et sa façade sont recouverts par les roses ; les herbes grimpantes et les chèvrefeuilles qui s’entrelacent lui font un vêtement de verdure et de tendres couleurs, si bien qu’elle ressemble au lis de l’Écriture, plus pompeusement vêtu que Salomon dans sa gloire. C’est là qu’habitent le plus habile, le plus intelligent, le plus probe des esclaves de la ferme de Shelby, le véritable intendant de la maison, l’oncle Tom, et sa femme, la tante Chloé[1], qui exerce les fonctions de cuisinière dans la maison de M. Shelby. La tante Chloé, bonne, modeste, bavarde et active, n’est orgueilleuse et intraitable que sur un seul point, la cuisine, où elle excelle, comme toutes les négresses. C’est un philosophe dans l’art culinaire, et qui porte si bien l’empreinte de ses méditations sur son visage, qu’en la voyant passer les canards se sauvent remplis d’effroi, les oies stupides elles-mêmes s’écartent avec défiance. Son mari, l’oncle Tom, le héros du livre, est essentiellement une de ces créatures pour qui le Christ a prononcé cette parole : « Paix aux hommes de bonne volonté ! » Lorsque les nègres des environs sont rassemblés dans sa cabane, il sait leur tourner un sermon comme le ministre de la paroisse lui-même, car Tom est né prédicateur ; il a innées en lui les qualités du missionnaire et du prêtre ; son grand bonheur est d’apprendre aux nègres à chanter les cantiques méthodistes, celui-ci par exemple : « Oh ! je vais à la gloire, ne viendras-tu point avec moi ? Ne

  1. Nous dirions en français le père Tom, la mère Chloé.