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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/219

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SCÈNES ET MŒURS DES RIVES ET DES CÔTES.

Les oiseaux, qui arrivaient sans défiance, se laissèrent prendre en grand nombre ; mais à la longue ils s’effrayèrent et devinrent plus rares. C’eût été le moment de lever les appeaux pour les transporter plus loin, si le petit bossu, satisfait de sa chasse, n’eût accepté cette espèce de suspension comme un repos. Ébloui par la lumière qui inondait le ciel et bercé par la douce rumeur du vent à travers les buissons et les fougères, il s’était laissé aller insensiblement à cette langueur enivrée dans laquelle nous jettent les premiers beaux jours. Sur son lit de bruyères, il oublia peu à peu la pipée pour suivre les mille images confuses que fournit le souvenir ou que crée l’espérance. Peu à peu ses perceptions devinrent plus vagues, ses paupières s’alourdirent, tout s’effaça devant lui, et il s’endormit.

Son sommeil se prolongea sans doute, car, lorsqu’il se réveilla, la brise avait fraîchi et le soleil descendait de l’autre côté de la colline. Baliboulik se souleva en secouant les fleurs de bruyère desséchée mêlées à ses cheveux, et il appuyait la main au rebord du sillon qui lui avait servi de couche pour se remettre sur pied, quand un bruit de voix le fit tressaillir et retourner. Des flocons de fumée pailletés d’étincelles montaient d’un petit enfoncement placé au-dessous de l’enceinte de buissons où il s’était établi, et de brusques paroles échangées avec un accent de mauvaise humeur arrivèrent jusqu’à lui. Un soupçon qui traversa l’esprit du maître d’école le fit pâlir ; il s’avança en rampant jusqu’à l’extrémité du pli de terrain qui le cachait, et reconnut les Guivarch groupés sur un petit plateau inférieur. Ils étaient réunis autour d’un feu d’ajoncs déjà consumé, et dans la cendre duquel Soize glissait quelques pommes de terre tirées une à une d’un bissac jeté sur le gazon. Le bossu comprit que, par hâte ou par prudence, ils n’avaient point voulu transporter jusqu’à leur cabane les produits de leurs rapines dans la plaine, et qu’ils allaient dîner à ce feu de bivouac.

Tous les yeux suivaient les préparatifs de la petite fille avec une mobilité avide ; ceux de la grand’mère Katelle étaient seuls sans mouvement ; éteints depuis bien des années et ayant pris cette fixité de marbre qui imprime à la cécité je ne sais quoi de fatal, ils tachaient comme deux points blancs un visage tanné et ajoutaient à la dure expression des autres traits un caractère encore plus implacable. Le costume de la vieille femme complétait l’étrangeté de sa physionomie. Vêtue d’une jupe frangée qui laissait voir des jambes nues dont la peau rugueuse et souillée de boue avait pris la couleur du granit, elle avait jeté d’une épaule à l’autre, pour suppléer à son justin[1] en lambeaux, une de ces couvertures bretonnes fabriquées avec des lisières tressées. Sa main droite s’appuyait à un long bâton d’épine durci au feu, et elle était

  1. Corsage de drap.