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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

aurait fini par tout échanger, crosse, couronne et chapeau, contre le triple diadème de roi de la Grande-Bretagne. L’électeur succomba trop tôt pour voir se réaliser ce beau rêve de toute sa vie ; mais tant de combinaisons laborieusement ourdies ne devaient pas être perdues. En travaillant pour lui et sa descendance, le roué diplomate avait compté sur la mort, et la mort vint bravement en aide à ses desseins. Par elle, douze enfans de la reine Anne furent moissonnés pour ouvrir le chemin à la race de Brunswick-Hanovre, et, lorsqu’à son tour la reine Anne mourut en 1784, le fils du pauvre évêque d’Osnabrück monta sur le trône d’Angleterre sous le nom de George Ier. Comment penser au premier électeur sans évoquer à l’instant le souvenir de sa terrible favorite, de cette célèbre comtesse Platen, espèce de Montespan avec le cœur d’une Médée et le tempérament d’une Phèdre, et dont vous retrouvez à chaque pas l’image éblouissante dans les galeries du palais de Herrenhausen ? De Mme de Platen à Philippe de Kœnigsmark, il n’y a qu’un caprice de courtisane, et nous touchons ainsi à cette race singulière qui, pendant plus d’un siècle, occupa l’Europe de ses hauts faits, et semblait, avant que le feu du ciel l’eût frappée dans le dernier de ses descendans, devoir éternellement fournir des généraux, des ministres, des favoris et des maîtresses à toutes les têtes couronnées du saint-empire.


I.

Il y a peu de familles plus curieuses à tous les points de vue que cette famille des Kœnigsmark ; l’histoire et le roman se la disputent. À partir de la guerre de trente ans jusqu’à la guerre de sept ans, vous la voyez figurer sur la scène dans les costumes les plus étranges et les plus variés. Il n’est point de pays ayant joué un rôle à cette époque si agitée dont les archives n’aient retenu quelque chose de leur histoire, éparpillée ici et là, en Suède, en Allemagne, en France. Race superbe et vaillante, féconde race qui passe en soulevant le bruit et la fumée, puis tout à coup s’éteint et disparaît sans qu’il en reste vestige ! Les hommes sont des héros ou des aventuriers, les femmes de pudiques vestales, des matrones saintes et vénérables, ou d’enivrantes pécheresses promenant de royaume en royaume leurs irrésistibles séductions. Partout le tumulte et l’intrigue, les procès et le besoin d’argent. C’est le propre de cette incomparable lignée d’être par voies et par chemins éternellement, de ne connaître ni repos ni répit. Son histoire est celle de son siècle, et cela non-seulement en Europe, mais en Asie aussi et en Afrique : la guerre des Turcs, la révolution de Pologne, les querelles des princes allemands, rien ne manque au spectacle qui se déroule, et tout vient à sa place.