Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
322
REVUE DES DEUX MONDES.

En remontant aux origines de cette famille, vous trouverez que ses richesses, comme sa puissance, eurent pour fondateur le vieux maréchal Kœnigsmark. Ce héros-là, on serait mal inspiré de le vouloir citer à comparaître devant le tribunal de la morale austère, car il y ferait, je suppose, assez mauvaise contenance. C’était dans la guerre un abominable pillard, un coquin de sac et de corde, et qui savait allier par un agréable mélange l’astuce et la perfidie de l’aigrefin à la brutalité du soudard. De cette désinvolture hardie et poétique, de ce parfum chevaleresque qui fut plus tard la marque distinctive et le signe de sa race, vainement vous en chercheriez vestige chez cet endurci malandrin. Il faut voir ses façons expéditives de procéder avec ses ennemis, les justices sommaires qu’il rend de par le monde au nom de son propre intérêt ! Toujours debout et toujours à l’œuvre, il ne désarme pas, et, lorsque les souverains qu’il sert ou prétend servir font la paix, lui reboucle son ceinturon et recommence à guerroyer pour son compte. Comme il s’agite et s’escrime au milieu de cette cohue de la guerre de trente ans ! La scène et l’acteur semblent ici créés l’un pour l’autre. Entre tous ces généraux, honneur de la Suède à cette époque, le maréchal finit, coûte que coûte, par faire sa trouée et conquérir sa place à côté des Wrangel, des Banner, des Horn et des Torstensohn ! À quel titre ? Dieu le sait ! car de l’art stratégique, de la haute capacité militaire de ces illustres capitaines, il n’en possède pas le premier mot, et la bravoure soldatesque est au fond son unique mérite.

Né en 1600, sur une terre noble appartenant à sa famille, le premier des Kœnigsmark s’engage de bonne heure dans l’armée impériale et prend du service sous les ordres de ce duc Albert de Saxe-Lauenbourg qui passe pour le meurtrier de Gustave-Adolphe. En 1630, lorsque cet héroïque monarque paraît en Allemagne, Kœnigsmark abandonne à l’instant les drapeaux de l’empereur pour se ranger du côté de la Suède. À dater de ce jour, sa carrière se développe et ses heureux talens prennent essor. Le voilà parcourant la basse Allemagne, la Bohême et la Silésie à la tête d’une armée qu’il a levée lui-même ; le voilà pillant, massacrant, incendiant et promenant partout l’épée et la torche, si bien que, grâce à lui, le nom suédois devient en peu de temps l’épouvante et l’exécration de la chrétienté. La paix de Westphalie est signée, du diable s’il y prend garde ! Il porte le plus tranquillement du monde le siége devant Brème, ville impériale, et se met à manœuvrer selon les règles. L’Europe entière se récrie ; il laisse l’Europe se récrier. Les cabinets de France et de Suède, soulevés de tant d’audace, formulent leurs plaintes, lancent leurs protestations et leurs anathèmes, le sénat de Stockholm et la chambre impériale citent à leur banc cet incorrigible boute-entrain : à d’autres ! Le vieux drôle ne comparaît pas. Un soldat arrogant insulte du milieu de ses mercenaires à tous les droits