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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

de la société. Enfin il daigne se rendre à Stockholm, et là se concilie par des présens, faible dîme prélevée sur ses immenses butins, la faveur de son auguste souveraine. Il assiste, en 1650, au couronnement de la reine Christine, qui le nomme gouverneur de la principauté de Werden et du duché de Brème, et c’est en cette qualité de lieutenant royal qu’il établit sa résidence à Stade et s’y construit un splendide palais qu’il intitule Agathenbourg, du nom de sa femme. Il s’en fallait pourtant de beaucoup que ces façons d’agir trouvassent de la sympathie à la cour de Stockholm. Les grands de Suède ne pouvaient pardonner à cet étranger un tel excès de fortune et de faveur. On ourdissait contre lui intrigue sur intrigue, on complotait cabale sur cabale ; mais le vieux reître n’était pas homme à se prendre en de pareils filets. Libéral et magnifique avec les natures mercenaires, il fonçait l’épée haute sur quiconque faisait mine de ne se vouloir point laisser corrompre, et, moyennant ce double et très habile emploi de l’argent et du fer, il avait fini par se ménager une situation privilégiée à la cour de la reine Christine, où, chose incroyable, on lui donnait le titre de protecteur des lettres et des beaux-arts. Tout aussi bien qu’un autre, il remplissait son fauteuil à l’académie de Stockholm, ce Vandale démolisseur des églises et des monumens de Prague. Et quand il avait passé sa matinée à couronner des astronomes et des philosophes, à distribuer des encouragemens aux jeunes peintres qui promettent et aux musiciens d’avenir, il venait le soir, en tournant sur ses talons, raconter ses prouesses littéraires au petit cercle de sa majesté, et jetait au besoin son vers de Tibulle ou d’Horace avec l’aplomb et l’à-propos d’un humaniste consommé.

Ainsi s’achemina vers le tombeau ce vieil enfant. Chargé de gloire et d’opulence, il avait voulu, par une de ces faiblesses très ordinaires à la nature humaine, semer un brin de myrte dans ses lauriers, et Minerve, pas plus que Bellone, ne s’était montrée cruelle ; mais ce qui valait bien toutes les palmes de l’Hélicon, ce fut un revenu de cent trente mille écus (fortune énorme pour le temps) qu’il laissa à sa famille, dûment accompagné du titre de comte et de toute sorte de châteaux, résidences et domaines. On peut appeler cela n’avoir point vécu absolument pour rien. Peu à peu les malédictions et les anathèmes attachés d’abord à ces conquêtes du pillage s’évanouirent, et, selon l’antique et solennel usage, le mausolée de marbre s’éleva, calme et triomphal, ne parlant à la postérité respectueuse que d’honneur, de vertus et de gloire. On vous montre à Stockholm le portrait de ce fondateur de la dynastie romanesque des Kœnigsmark : vous croiriez voir l’image vivante de Pierre-le-Grand ; puis, quand vous avez assez admiré la figure de ce bandit superbe, on vous met devant les yeux un épais in-quarto rempli de gravures et de documens : c’est la vie du héros écrite en style pindarique. Il est vrai qu’à ce reliquaire de fa-