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mille on pourrait opposer un autre monument, je veux dire Prague incendiée et mise à sac ; car si, dans la biographie suédoise, le héros mythologique apparaît un peu trop, le simple souvenir de ce triste fait d’armes suffit pour ramener le demi-dieu à des proportions plus humaines, et les deux documens se complètent ainsi l’un par l’autre.

Le vieux maréchal laissa trois fils, dont le moins âgé, Othon-Guillaume, devait trouver la mort au siége de Négrepont, tandis que le cadet, Jean-Christophe, succomba très jeune encore aux suites d’une chute de cheval. Quant à l’aîné, le général Conrad-Christophe de Kœnigsmark, qui mourut à l’assaut devant Bonn, il fut le père de Charles-Jean, de Philippe, et des deux sœurs Aurore et Wilhelmine. Sous sa ferme direction, la famille vit de jour en jour s’accroître son importance et son crédit. Le père de Charles-Jean, de Philippe et d’Aurore s’était marié à Christine Wrangel, fille du maréchal Hermann Wrangel, lequel avait eu l’insigne honneur d’avoir épousé une princesse palatine, ce qui mettait par le côté maternel la famille en alliance avec les maisons souveraines d’Allemagne, tandis que, par le père, on touchait à ce que la noblesse suédoise avait de plus illustre. Devant cette jeune et riante lignée, la carrière s’était aplanie comme à souhait, et pourtant ces chemins que la destinée semblait prendre plaisir à semer de fleurs sous leurs pas, aucun des enfans du général Conrad-Christophe de Kœnigsmark ne les devait parcourir jusqu’au bout ; cette race favorisée entre toutes allait s’éteindre dans la plénitude de sa force.

Charles-Jean, l’aîné des fils du général, est le vrai héros de la famille. Si l’aïeul n’avait été qu’un soldat valeureux, qu’une sorte de glorieux pillard, le petit-fils portait déjà dans toute sa personne la grâce et la dignité de son rang. Jeune, beau, aristocrate au fond du cœur, intrépide au combat et d’une séduction parfaite, on eût dit le Roland du XVIIe siècle. La cour de Suède, alors en proie aux disputes des partis, n’offrait qu’une scène bornée au chevaleresque et bouillant jeune homme. Il vint à Paris, il y fit rencontre de son oncle Othon-Guillaume, et l’oncle et le neveu, tous les deux curieux du plaisir et des galanteries, se précipitèrent dans les aventures. L’oncle surtout s’accrochait à cette vie de fredaines avec l’âpre persistance que portent dans les équipées de ce genre les tempéramens vigoureux d’un âge mûr ; car, pour Charles-Jean, son ame, éprise d’un certain idéal de renom et de gloire, rêvait déjà des exploits plus illustres. À peine âgé de dix-huit ans, il s’arrache aux merveilles de la cour de France, dit adieu aux délices de Versailles et fait voile vers Malte, pour s’en aller offrir au grand-maître de l’ordre ses services contre les Barbaresques. Les Turcs exerçaient alors une piraterie abominable, et la vigilance des fidèles chevaliers de la croix s’était donné une terrible tâche en essayant de maintenir la police sur les mers. Un jour, un brick