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dans saint Augustin du Virgile et du Claudien. Ce qu’on n’y rencontre nulle part, c’est la naïveté et la rudesse du moyen-âge. L’antiquité et le christianisme, voilà les seuls élémens de la littérature chrétienne du iv« siècle.

Et pourquoi, en effet, les pères de cet âge se seraient-ils fait scrupule de puiser largement à ce vaste réservoir de poésie qui coulait des sources d’Homère? Est-ce qu’une des preuves favorites qu’ils aimaient à donner de la vérité de leur religion n’était pas précisément son rapport avec les traditions antiques de tous les peuples dont la poésie demeurait seule dépositaire? Quand on leur reprochait que leur religion était nouvelle, ils en appelaient aux vieux oracles, aux antiques légendes, à toute cette religion primitive où se trouvaient en effet, sous une apparence énigmatique et sombre, tant de vestiges des dogmes chrétiens. Lorsque l’autre jour un prélat, qui prit parti pour la thèse de l’abbé Gaume, disait en raillant qu’il aimait mieux les prophètes que les sibylles, il se montrait plus difficile que Lactance et Eusèbe, qui citent à toutes les pages les oracles sibyllins et les vers des poètes dans leurs préparations évangéliques. Ce genre de démonstration par les traditions antiques était même, si j’ai bonne mémoire, fort revenue à la mode dans ces derniers temps. Sans vouloir prêter trop de force à des preuves douteuses par leur nature, il est certain qu’à tout instant, dans la lecture des poètes antiques, du sein même des impuretés qui leur sont trop habituelles s’élèvent tout d’un coup de singuliers souffles de christianisme. La poésie grecque atteint souvent une profondeur et une pureté morales fort supérieure à l’état des populations antiques. L’inspiration lui révèle des vérités dont elle semble ne pas avoir conscience. Homère vient de peindre Achille et Agamemnon se disputant une concubine avec la grossièreté de deux barbares ivres. Où va-t-il prendre tout d’un coup cet élan sublime et pur de l’amour conjugal qui remplit le dialogue d’Hector et d’Andromaque? La tendresse confiante et soumise chez la femme, protectrice chez l’homme, le devoir, le sacrifice et l’amour, tout le mariage évangélique est déjà là. Un prédicateur chrétien ne l’eût pas mieux peint et devait s’émouvoir devant ce tableau. Antigone cherchant le corps de son frère sur le champ de bataille au péril de ses propres jours n’a-t-elle pas déjà ce noble culte des morts qui entraînait tant de vierges chrétiennes sous le fer des bourreaux pour dérober les restes sacrés des martyrs? Polyxène mourante n’a-t-elle pas leur pudeur? Le dernier entretien de Diane et d’Hippolyte n’est-il pas une magnifique allégorie de cette chasteté virile dont, de nos jours encore, le christianisme seul semble avoir le secret? Le frivole Ovide ne peint-il pas la création du monde et de l’homme dans des termes presque dignes de la Genèse? D’où viennent à l’antiquité païenne ces inspirations qui la soulèvent un instant et qui l’abandonnent? Sont-ce des pressentimens?