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ne sont-ce pas plutôt des souvenirs? L’imagination est la véritable mémoire des peuples. L’enfant enlevé au berceau ne voit plus que dans ses rêves les images de la maison paternelle.

Quoi qu’il en soit, c’est en sachant reconnaître et recueillir ainsi dans la philosophie, dans les lettres, dans les lois antiques, tout ce qui était compatible avec le christianisme, qu’en moins d’un siècle, sans la moindre révolution apparente, sans aucune de ces destructions violentes qui accompagnent les plus heureuses révolutions humaines, l’église eut renouvelé la société romaine tout entière. Triomphante sans insurrection, elle régna sans châtimens et sans vengeance. On ne saurait mieux se faire une idée de ce qui se passe dans ce siècle mémorable qu’en regardant quelques-unes de ces belles peintures qu’un travail intelligent vient de faire sortir toutes vivantes des catacombes. La couleur éclatante, les formes délicates, rappellent les ravissantes arabesques des thermes de Néron et des maisons de Pompeï : les figures de femme portent les mêmes vêtemens, leurs poses ont la même grâce; mais un trait de feu a passé dans tous les regards : ces nymphes, livrées naguère à une volupté langoureuse, sont devenues des orantes dont les yeux et les mains tendent vers le ciel. Telle est la Rome du IVe siècle; antique par les formes, elle est pleine d’un sentiment tout nouveau.

Elle nous offre en même temps l’image d’une société tout animée de l’esprit chrétien, et cependant parfaitement différente de la société du moyen-âge. Le catholicisme ne s’y montre accompagné ni de la féodalité, ni de la scolastique, ni de l’architecture ogivale. Il n’en faut pas davantage pour montrer la vanité des systèmes qui les confondent; mais, en y regardant de plus près, on s’aperçoit de plus que le moyen-âge, à le bien prendre, n’est qu’un des résultats de ce travail d’assimilation que l’église opère au IVe siècle sur toute la partie saine de la civilisation antique. Bien loin donc qu’on puisse regarder la société du moyen-âge comme le produit propre du catholicisme, bien loin surtout qu’on puisse établir, comme M. l’abbé Gaume, une hostilité régulière entre les deux civilisations païenne et chrétienne, il faut reconnaître que la civilisation romaine est un des élémens intégrans de cet état de mœurs complexe qu’on a nommé le moyen-âge. Si nous voulions donner une définition courte et vraie du spectacle que donne l’histoire de l’Europe au moyen-âge, nous dirions qu’on y voit l’église catholique domptant et poliçant les Barbares avec l’aide et par le moyen de la civilisation romaine. Dans cette œuvre, qui dura plus d’un jour, l’église catholique fut le bras, la civilisation romaine fut l’instrument le plus puissant.

Grâce à la protection intelligente que le christianisme avait étendue sur tout le monde antique, voici en effet ce qui arriva. L’empire fut