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ajustemens des acteurs, et d’une foule de petits effets de scène ou insignifians ou forcés, qui composent ce que Fréron appelle la poétique enfantine de Diderot. Fréron se moque avec raison de toutes ces minuties, notamment de ces jeux d’entr’acte que Beaumarchais donne pour une admirable invention, et qui consistent à montrer dans l’intervalle des actes les domestiques qui rangent les chaises, ouvrent des malles ou s’étendent en bâillant sur des canapés, ou bien le baron qui sort de la chambre de sa fille, tenant d’une main un bougeoir allumé et cherchant de l’autre une clé dans son gousset, le tout pour se rapprocher de la nature. « Pourquoi, dit Fréron, ne pas faire venir un frotteur ? Notre théâtre n’a pas besoin de toutes ces singeries dont les Italiens et les forains sont en possession depuis long-temps. C’est replonger la scène française dans la bassesse et la popularité de ses premières années. » Mais, en critiquant ce qui lui déplaît, Fréron analyse exactement la pièce ; il constate, ainsi qu’on l’a vu plus haut, son succès, fait ressortir le mérite des trois premiers actes et surtout les scènes émouvantes du troisième ; il déclare les deux derniers mal tissus et mal écrits, et il termine par une réfutation des théories de l’auteur sur le drame, réfutation dans laquelle il signale avec assez de justesse non-seulement les erreurs de Beaumarchais, mais les tours de phrase incorrects ou forcés qu’il emploie fréquemment, tels que ceux-ci par exemple : l’arme légère et badine du sarcasme n’a jamais décidé d’affaires ; elle est tout au plus permise contre ces poltrons d’adversaires… — les sentences et les palmes du tragique, les pointes et les cocardes du comique sont interdites au genre sérieux, etc.

Quoique sévèrement accueilli par la critique, le premier drame de Beaumarchais réussit non-seulement en France, mais en Angleterre. Le célèbre acteur Garrick, alors directeur du théâtre de Drury-Lane, eut l’idée de le faire traduire et de le faire jouer à Londres avec des modifications sous le titre de l’École des Roués (the School for Rakes). C’est ce qui résulte d’une lettre de Garrick à Beaumarchais en date du 10 avril 1769, de laquelle j’extrais, en le traduisant, le passage suivant :


« L’École des Roués, qui est plutôt une imitation qu’une traduction de votre Eugénie, a été écrite par une dame à qui je recommandais votre drame, qui m’avait fait le plus grand plaisir, et duquel je pensais que l’on pouvait tirer une pièce qui plairait singulièrement à un auditoire anglais, et je ne me trompais pas, car avec mon secours (ce qui est dit dans l’avertissement qui précède la pièce) notre Eugénie a reçu les applaudissemens continuels des auditoires les plus nombreux. »


Ce premier succès était en somme assez flatteur pour encourager Beaumarchais à persister dans une voie qui n’était pas précisément celle où l’appelait son génie. Heureusement pour lui, son second essai