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d’une grande célébrité, lorsqu’elle vint à Londres en 1723. C’était une femme d’une beauté admirable dont la voix de soprano, étendue, limpide, flexible et charmante, avait été qualifiée de voix angélique pour la douceur de son timbre et pour l’égalité parfaite de ses différens registres qui s’emboîtaient les uns dans les autres sans la moindre aspérité. Pendant trois ans, elle fut l’idole du public anglais et l’objet des plus incroyables adulations. Capricieuse, irritable, fière de ses talens, de sa beauté et de ses succès, la Cuzzoni n’était rien moins que facile à gouverner, et il fallut que le grand maître dont elle chantait la musique et qui n’était pas d’humeur à se laisser manquer de respect, la mît souvent à la raison. Haendel la menaça même un jour de la jeter par la fenêtre, menace d’autant plus redoutable qu’il était d’une force herculéenne.

C’est dans un opéra de ce grand musicien, Alessandro, que débuta la Faustina à son arrivée à Londres en 1726. La Cuzzoni et le sopraniste Senesino y avaient chacun un rôle que le maître y avait dessiné avec le plus grand soin en y faisant entrer les morceaux qui pouvaient convenir au talent de ces trois virtuoses. La Cuzzoni chanta d’abord un premier air, — Dolce amor sorise, — qui était plein de grâce, auquel succéda un air de la Faustina, — Lusinghe più care, — d’un caractère plus pénétrant et dont la mélodie franche devint bientôt populaire. Après s’être ainsi essayées chacune séparément, Clorinde et Herminie chantèrent ensemble un duo, — Plaça l’alma, — dans lequel Haendel avait ménagé avec beaucoup d’adresse l’amour-propre des deux rivales. L’effet de ce duo fut prodigieux. Au troisième acte, la Cuzzoni chanta encore : Alla sua gabbia d’oro, — qui lui valut un triomphe complet. Plus tard un dernier opéra de Haendel, Othon, où il y avait un air, —- un lampo è la speranza, — que la Cuzzoni disait à ravir, rapprocha de nouveau les deux cantatrices, et puis il fallut les séparer, car la discorde et la guerre étaient dans le camp d’Agramant. Le grand compositeur, malgré sa volonté et la rudesse de son caractère, ne put réussir à mettre d’accord ces deux notes extrêmes du clavier des passions. Leur jalousie était si grande, qu’il était impossible de les réunir dans une même maison. Il fallut que la mère d’Horace Walpole employât la ruse pour faire entendre dans la même soirée ces deux héroïnes de la mode. Pendant que la Cuzzoni chantait devant une nombreuse assemblée composée de la plus haute noblesse de l’Angleterre, lady Walpole amusait la Faustina en lui faisant admirer, dans une pièce éloignée, de belles porcelaines de la Chine. Lorsque la Cuzzoni eut fini son morceau, un domestique vint prévenir tout bas la maîtresse de la maison que le coup était fait, et la Faustina entra aussitôt dans le salon que venait de quitter sa rivale. Je crois qu’Horace Walpole a consigné le récit de cet incident dans un passage de ses écrits. Les choses