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ans, au milieu de leurs excès d’imagination, de leurs lacunes et de leurs déviations, ce qu’il faut dire, c’est qu’il y avait une puissance réelle, une haleine vigoureuse. Aujourd’hui on fait trois tragédies qu’on joint ensemble dans un tome élégant, et on met sur la première page : Théâtre complet. On réunit deux chansons, trois élégies, une satire, plus une étude dramatique, et on inscrit au frontispice Poésies complètes. Les mots peignent les choses. Ainsi a fait M. Ponsard, ainsi fait aujourd’hui M. Émile Augier. L’auteur de Gabrielle publie ses Poésies complètes, qui ne constituent pas une gerbe bien ample et bien féconde, et qui prouvent qu’en dehors de la comédie, l’inspiration du poète n’a pas un vol bien étendu. Bien que d’une nature de talent et d’un esprit très divers, M. Ponsard et M. Émile Augier se ressemblent cependant en plus d’un point : ils sont nés presque ensemble à la vie littéraire, ils ont eu une même fortune, ce sont les deux astres jumeaux du ciel poétique du bon sens ; ils ont été portés par le même mouvement, et ils ont encore cela de commun, que ni l’un ni l’autre n’était assez vigoureusement doué pour illustrer la réaction qui les servait tous deux. M. Émile Augier admire M. Ponsard, comme le prouve un de ses morceaux ; mais l’enthousiasme ne devrait point empêcher de parler français. M. Augier fait tenir à la muse antique parlant à l’auteur de Lucrèce un langage qui tendrait à prouver que les muses ont une grammaire toute spéciale. Le principal morceau des Poésies complètes est une étude dramatique, les Méprises de l’amour. L’auteur avoue sincèrement que quelques amis lui avaient conseillé autrefois de livrer cette esquisse à l’oubli : il y avait consenti ; mais en général défiez-vous de ces sacrifices héroïques, de ces auto-da-fé littéraires. Si l’on brûle un manuscrit, c’est qu’il en reste un autre à coup sûr, et le phénix renaît de ses cendres, comme aujourd’hui les Méprises de l’amour. D’ailleurs l’auteur y voit même en ce moment un pastiche très exact de la langue du grand siècle. C’est là encore un des traits de l’école, de prétendre reproduire la langue du grand siècle. Cela ne nous rend, hélas ! ni Molière ni Corneille, ce mâle génie dont la langue retentissait l’autre soir au Théâtre-Français. Mais ici ce n’était plus seulement un intérêt littéraire, c’était une scène politique ; chaque inspiration de Corneille répondait aux préoccupations, et soulevait ces questions mêmes qu’on se posait. Auguste n’était pas sur le théâtre ; ce n’était pas sur la scène qu’on délibérait sur l’empire, et nous étions ainsi ramenés au train des choses contemporaines, à l’histoire de la France comme à celle des pays qui lui tiennent par quelque côté.

La Belgique est assurément un de ces pays. À quel point en est aujourd’hui l’interrègne ministériel en Belgique ? Là est la question. Est-ce dans le parlement qu’on peut chercher la réponse ? Mais le parlement lui-même est hors d’état de fournir aucune solution à cette crise. Pour le moment, il est scindé en deux fractions égales. La majorité se déplace, non pas même d’un jour à l’autre, mais d’une heure à l’autre. On se souvient de la péripétie qui signala la première convocation des chambres, il y a un mois. L’élection du candidat libéral, M. Verhaegen, à la présidence, semblait hors de doute. Ce fut M. Delehaye qui fut nommé. De là la crise ministérielle qui dure encore. Les chambres viennent de se réunir de nouveau ces jours derniers. Le candidat libéral, M. Delfosse, est nommé président cette fois ; mais immédiate-