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ADELINE PROTAT.

comme s’il n’avait pas été interrompu : — Oh ! mon Dieu, oui ; on aurait pu penser ça, que Zéphyr était jaloux de vous…

Ce qui rassura heureusement Lazare, c’est que le bonhomme disait cela tout simplement, et que dans son attitude, dans sa voix, dans son regard, il n’y avait aucune intention, aucune arrière-pensée. Il comprit cependant qu’en faisant une plus longue opposition à l’idée nouvelle de Protat il courrait le risque d’augmenter ses doutes et de l’engager dans un soupçon de traverse aboutissant à la vérité.

— Au fait, dit-il à Protat, vous pouvez avoir raison. Au motif que vous supposiez d’abord, il est possible que Zéphyr en ait ajouté un autre, et c’est peut-être pour ça qu’il avait mis deux pierres à ses jambes, dit Lazare en essayant de tourner la chose en plaisanterie.

— Ah ! vous voyez donc bien que vous voilà de mon avis, s’écria Protat ; il y a une autre raison.

— C’est plus que probable, et c’est même, j’en suis sûr, celle-là qui, avant toute autre, aura poussé Zéphyr à faire ce qu’il a fait.

— Vous croyez ? continua Protat, heureux de cet aveu, qui lui causait un soulagement. Eh bien ! mais quel rapport voyez-vous entre ce motif-là et la tristesse que votre arrivée a causée à Zéphyr ?

— Il y revient, se dit Lazare, et tout haut il reprit : — Pas grand rapport à première vue ; mais, quand on cherche, il faut chercher partout.

— Ça, c’est vrai, dit le sabotier avec un geste approbateur. Eh bien ?

— Eh bien ! en cherchant, voici ce que je trouve. Écoutez-moi.

— J’y suis, fit Protat, la tête appuyée sur les mains et les coudes sur la table.

— Vous savez que c’est dans quinze jours la fête de Montigny. Or, parmi les divertissemens autorisés par M. le maire, vous savez aussi qu’il y a un certain tir à l’oie qui, outre la bête devenue le prix du vainqueur, rapporte encore une grande considération à celui-ci dans tout le village.

— Parfaitement. Zéphyr, qui pendant toute l’année était si maladroit de sa main, était même très malin à ce jeu-là. Pendant trois années de suite, c’est lui qui a gagné l’oie, et le violon venait lui jouer une aubade.

— Ce qui lui donnait par-dessus le marché le droit de choisir sa danseuse.

— Et, fit le père Protat en riant, le gaillard n’était pas bête : il allait tout droit aux plus beaux brins de fille et aux plus belles toilettes, aux joues les plus roses, aux rubans les plus rouges ; mais il faut être juste, quand ma fille est revenue à Montigny, Zéphyr a été poli, il lui a fait cadeau de l’oie, et il l’a invitée, comme c’était son