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droit. Cependant elle était un peu pâle encore, et elle n’avait pas de rubans rouges.

— Pardi ! fit Lazare en appuyant sur cette insinuation, Adeline était toujours la plus belle et la mieux mise : si elle n’avait pas de rubans, elle avait des bijoux, un bracelet.

— En or, dit Protat avec orgueil, en vrai or.

— Et des boucles d’oreilles, continua l’artiste.

— En diamans, dit Protat, en vrais diamans, et elle en a comme ça la valeur de trois arpens, prés ou vignes, dans une petite boîte rouge.

— Ce qui explique pourquoi Zéphyr tenait tant à la faire danser. Avec son bracelet, Zéphyr croyait que votre fille le faisait reluire. Il est plein d’amour-propre, ce petit bonhomme !

— Revenons à nos moutons, dit le sabotier à Lazare. Quel rapport ces histoires-là peuvent-elles avoir avec ce qui nous intéresse ?

— Attendez donc ! fit le peintre ; tout se tient dans la vie, comme vous venez de vous le rappeler tout à l’heure. Pendant plusieurs années, c’est Zéphyr qui a remporté le prix de l’oie à la fête du pays, et chaque fois votre apprenti a joui des honneurs attachés à cette victoire. Eh bien ! rappelez-vous maintenant que l’an dernier c’est un certain Lazare de votre connaissance et de la mienne qui a eu l’avantage de l’apporter triomphalement à votre tourne-broche, et que nous avons eu le plaisir de la déguster ensemble, au grand dépit et déplaisir de votre apprenti, qui, par orgueil, n’a point même voulu accepter une part de la conquête que je lui offrais en rival généreux.

— C’est parbleu vrai, fit le père Protat en joignant les mains.

— Et voilà comment vous aviez raison tout à l’heure, quand vous disiez que Zéphyr était jaloux de moi. Zéphyr, battu par moi dans le champ-clos de l’oie l’an dernier, par moi dépossédé des avantages sus-mentionnés, n’a pas subi cet échec sans rancune. Il espérait peut-être rétablir cette année sa réputation d’adresse sur le carreau à la pointe du coupe-chou municipal ; mais il apprend mon retour : il se désole, c’est tout naturel. Et notez bien encore qu’en arrivant à Bourron, où vous l’aviez envoyé me joindre, j’ai commencé, — fatale imprudence ! — par lui rappeler l’aventure de l’an dernier, en le prévenant que je comptais bien encore concourir cette fois-ci !

— Vous croyez que ce serait à cause de ça ?…

— Écoutez donc ! vous m’avez dit : Cherchons ensemble quelle raison Zéphyr avait pour être fâché de mon retour. Je vous donne celle-là, non point qu’elle soit suffisante et me paraisse peser autant que la pierre qu’il avait aux jambes ; mais c’est la seule que je trouve, et c’est la seule probable. Que cela vous surprenne, je le comprends ; mais moi je m’en étonne moins que vous. L’amour-propre a fait faire à des gens plus graves que Zéphyr des folies du genre de la