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pussent pas te compromettre, et je les ai conservés avec l’intention de te les rendre ; je te les rendrai en effet. Comme j’ai fait déjà, je continuerai à te servir dans l’esprit de ton maître ; mais pas de demi-sincérité, Zéphyr, pas de dissimulation, ou bien j’agis tout autrement que je n’ai fait jusqu’ici : je déclare par exemple à ton maître qu’il n’a pas à compter sur toi. Je parlerai à Protat, non pour te défendre, mais pour reconnaître avec lui qu’il a recueilli un mauvais sujet dont la présence dans sa maison ne peut apporter que le trouble et le désordre, et ce sera seulement quand tu l’auras perdue que tu t’apercevras combien ma protection pouvait t’être utile.

Zéphyr se montra sensible encore plus aux protestations amicales de Lazare qu’à l’espèce de menace qui les terminait ; mais ce qui parut, mieux que tout le reste, le convaincre et le décider à montrer toute la confiance que l’on désirait de lui, ce fut la présence des souvenirs que l’artiste lui mit sous les yeux, et qu’il reconnut en effet, justement parce qu’ils étaient méconnaissables.

— Et vous me les rendrez, bien sûr ? demanda Zéphyr.

— Je vais faire mieux, répliqua l’artiste en lui mettant le paquet dans la main, je vais te les rendre tout de suite ; mais rappelle-toi bien ce que je viens de te dire.

— Oh ! monsieur Lazare, s’écria Zéphyr avec une véritable effusion, oh ! que oui, que je vais tout vous dire, car j’en ai long, et ça me pèse là, ajouta-t-il en se frappant la poitrine du poing. Au fait, je peux bien parler avec vous ; vous êtes mon ami, n’est-ce pas ? Si vous ne l’étiez point, vous ne m’auriez pas rendu ça.

— Oui, mon garçon, je suis ton ami ; je t’en ai déjà donné des preuves, et je suis tout disposé à t’en donner de nouvelles.

— Eh bien ! fit Zéphyr, que je sois piqué d’un aspic, si ce n’est toute la vraie vérité que vous allez savoir !

Lazare n’eut pas besoin d’écouter longtemps pour être convaincu que Zéphyr était véridique, comme il venait de le promettre. L’animation qu’il donna à son récit, l’abondance de ses paroles, cette persistance complaisante qui l’amenait à revenir sur certains faits, son émotion, tour à tour empreinte d’attendrissement ou d’amertume, avaient effectivement le cachet de la vérité. On ne pouvait nier qu’elles vinssent d’une source sincère, les larmes échappées de ses yeux, quand ses souvenirs renouvelaient, avec les paroles qui les traduisaient, les souffrances qui les avaient pendant si longtemps fait couler dans son isolement.

Cette confession dura plus de deux heures, pleine de confusion et de répétitions. Aussi nous ne la reproduirons pas telle que la fit Zéphyr avec une vivacité d’expressions qui élevait quelquefois la rusticité du langage à la hauteur de l’éloquence ; nous n’en donnerons