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comprendre ce que je fais pour lui, et essayer de se rendre utile dans la maison, selon son âge et sa force ; mais il aime mieux se vautrer dans les coins. Patience, patience !

Enfin, sans qu’il eût un seul moment la pensée de s’en préoccuper et si peu loin que les événemens fussent derrière lui, le sabotier recommençait à être avec Zéphyr ce qu’il avait été avec Adeline. Dès que l’orphelin eut l’âge, Protat le mit à l’école. — Apprenez-lui vite tout ce qu’il faut savoir pour n’être point un âne, avait dit le sabotier au magister, et dare, dare ! que je puisse lui mettre un outil à la main. S’il ne me fait pas honneur, au moins qu'il me fasse profit ; c’est bien le moins après tout ce que j’ai fait pour lui. — Et il avait ajouté : Je crains qu’il n’ait l’entendement un peu dur ; mais ne vous gênez pas, vous pouvez taper.

La recommandation allait d’autant mieux à son adresse, que le magister de Montigny ne pratiquait point la patience comme vertu scolaire. Quand il faisait une explication à ses écoliers, si elle n’était pas comprise du premier coup, ce n’était pas lui qui la recommençait, c’était la palette, et il frappait comme un sourd qu’il était. Zéphyr, aussi bien doué du côté de l’intelligence qu’il l’était peu physiquement, aurait pu, sans doute, apprendre vite et bien ; mais le maître d’école, habitué à l’opacité têtue des marmots confiés à ses soins, confondit de confiance le nouvel écolier avec les autres, et ne remarqua point ou ne voulut pas remarquer les heureuses dispositions de Zéphyr, il le mit au régime commun : la brutalité et les coups. L’orphelin, s’apercevant qu’il n’y avait dans le résultat aucune différence entre bien faire et ne rien faire, prit le parti de suivre la pente naturelle qui le portait à l’indolence. Un vague sentiment de justice et de fierté froissées commencèrent à développer en lui des instans de rébellion. À l’active brutalité du maître, l’écolier opposait une obstination passive ; maltraité en outre par ses petits camarades, qui avaient repoussé ses avances, ses instincts d’expansion refoulés commencèrent à déposer en lui les germes d’une misanthropie qui lui donnèrent une apparence farouche. Quant à Protat, les renseignemens du maître d’école ne firent, comme on le pense, qu’augmenter encore les fâcheuses dispositions qu’il avait à l’égard de Zéphyr, et cette fois elles se montrèrent d’autant plus agressives, qu’elles semblaient puiser dans les mauvaises notes du maître d’école une apparence de justification.

— Mauvais écolier, mauvais ouvrier, avait dit Protat en retirant Zéphyr de l’école pour le mettre à son établi de sabotier ; mais nous allons voir ! J’aurai Zéphyr sous ma main, et ma main a son poids, ajoutait Protat avec un geste significatif. Cependant Zéphyr, éclairé sur sa situation réelle dans la maison du sabotier, comprit que c’était