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ont déjà été traités mainte et mainte fois par les artistes les plus éminens, ils offrent aux survenans l’occasion d’une lutte glorieuse. J’entends dire qu’il serait temps de renoncer à cette lutte, plus souvent stérile que féconde, et qu’on devrait abandonner les sujets déjà traités par les maîtres. Ce serait à mes yeux une grossière bévue. Les plus belles œuvres, les plus savantes, étudiées de bonne foi, ne mènent pas au découragement. La Cène de Léonard, la Transfiguration de Raphaël, l’Assomption de Titien, la Descente de Croix de Rubens, malgré les mérites éclatans qui les recommandent, peuvent suggérer à des esprits ingénieux ou hardis des pensées que ces grands hommes n’avaient pas entrevues quand ils ont pris en main le pinceau. Sans doute, il y a moins de danger à choisir un sujet vierge, on évite ainsi toute comparaison; mais n’y a-t-il pas quelque chose de plus glorieux à réussir en s’exposant à la comparaison?

Si je préfère pour le développement du talent les sujets religieux aux sujets historiques, c’est que trop souvent dans ces derniers l’armure ou le vêtement masquent la forme, et permettent de sous-entendre plus d’un détail ou d’escamoter plus d’une difficulté. Dans les sujets religieux, il est bien difficile de ne pas accuser nettement la limite de son savoir. En peignant Job ou Abraham, comment ne pas trahir son insuffisance, sa maladresse, si l’on n’a pas fait une étude complète de la forme humaine? Les sujets empruntés au moyen âge ou aux temps modernes n’offrent pas le même danger. Une cuirasse, un pourpoint habilement traités éblouissent parfois les yeux de la foule, et permettent au demi-savoir de triompher. Ainsi, au point de vue purement technique, les sujets religieux mériteraient la préférence; mais, en dehors même de la pratique du métier, il se présente d’autres argumens. Depuis la Genèse jusqu’aux Machabées, quelle prodigieuse variété d’épisodes! Quel livre a jamais offert à l’imagination une moisson aussi abondante! La Bible est pour la peinture une source inépuisable d’inspirations. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter l’histoire de l’art depuis le berger prédestiné qui dessinait l’ombre de ses moutons avant de recevoir les leçons de Cimabue jusqu’au divin Sanzio. Quelle histoire purement humaine a jamais trouvé de si nombreux, de si éloquens interprètes? Il faut donc, bon gré, mal gré, accepter la suprématie de la peinture religieuse; mais pour que cette peinture soit vraiment féconde, pour que la génération recueille et mette à profit tous les enseignemens qu’elle contient, il faut que l’autorité municipale distribue les travaux de décoration de nos églises avec plus de discernement. Si les amis de l’art se rappellent avec reconnaissance que M. Hippolyte Flandrin a donné à Saint-Germain-des-Prés des preuves éclatantes de son savoir, ils n’oublient pas, ils ne peuvent oublier que M. Lépaulle a barbouillé sur