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chose d’indécent, d’excessif, qui n’étonnait point et semblait comme excusé par la prohibition même.

Une autre cause qui rendait le public très indulgent pour la vivacité de Beaumarchais, c’est que, s’il était parfois violent, ses adversaires l’étaient beaucoup plus que lui ; leurs mémoires, aujourd’hui oubliés, étaient lus en même temps que les siens ; on admirait d’autant plus l’énergie et l’habileté de sa défense, qu’on la voyait toujours proportionnée à la violence de l’attaque, et par bonheur pour lui tous ses adversaires étaient non-seulement très-ridicules, mais aussi très emportés et très méchans au moins d’intention « On riait, dit justement La Harpe, de les voir écorchés, parce qu’ils avaient le poignard à la main. »


II. — LES ADVERSAIRES DE BEAUMARCHAIS ET LEURS MÉMOIRES.

Les mémoires des antagonistes de Beaumarchais sont devenus fort rares ; je me les suis procurés afin de bien saisir la physionomie de ce combat. En les lisant, on voit mieux à quel point l’homme qu’ils attaquaient était doué du génie comique, et avec quelle puissance de pénétration il saisit et reproduit fidèlement la nuance de platitude et de méchanceté qui distingue chacun de ses ennemis. On reconnaît aussi qu’à tout prendre, la modération est de son côté, et qu’il ne commence à attaquer à outrance que lorsqu’il a été lui-même attaqué sans mesure et sans pudeur. Ainsi, dans son premier Mémoire, il se contente d’exposer les faits avec clarté et précision ; il discute la question de droit, repousse la dénonciation du juge Goëzman, mais se montre réservé dans son langage et très-sobre de personnalités. À peine avait-il publié ce premier Mémoire, que cinq adversaires furieux fondent presque en même temps sur lui. Alors seulement il engage le fer et prend l’offensive avec une vigueur toujours croissante jusqu’à ce qu’il ait mis sur le carreau les cinq champions qu’il nous reste à passer rapidement en revue.

Le premier qui paraît, c’est Mme  Goëzman, qui écrit sous la dictée de son mari, et lance à la tête de Beaumarchais un mémoire hérissé de termes de procédure et de citations latines. Rien de plus lourd, de plus hétéroclite que ce langage d’un légiste prenant le masque d’une femme et écrivant : « Je me suis remplie de cette cause autant qu’il est au pouvoir d’une femme ; » ou bien : « Sa récrimination doit donc être repoussée conformément à cette loi qu’on m’a citée, neganda est accusatis licencia criminandi. » Beaumarchais résume spirituellement la profonde bêtise de ce mémoire, quand il s’écrie : « On m’annonce une femme ingénue, et l’on me présente un publiciste allemand. » Mais si le mémoire est ridicule dans la forme, il est, quant