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sont des morceaux qui n’ont pas sans doute un caractère bien tranché et qui rappellent un grand nombre de souvenirs, mais qu’on écoute avec plaisir, parce qu’ils sont adroitement écrits pour les voix et les virtuoses qui les chantent. L’instrumentation, toujours élégante, fourmille de jolis détails, de rhythmes piquans et guillerets où l’on reconnaît l’esprit et la dextérité de l’auteur du Domino noir, génie aimable qui vise moins à la profondeur qu’à la justesse de l’expression, musicien facile et vrai qui ne se paie pas de grands mots et dont l’harmonie, très fine et scintillante de modulations, est toujours subordonnée à l’idée mélodique dont elle relève l’éclat. L’œuvre entière de M. Auber est un mélange heureux de gaieté, de finesse et d’élégance.

« Tenez, tous vos discours ne me touchent point l’âme, »


dit Agnès dans l’École des Femmes,

« Horace avec deux mots en ferait plus que vous. »


C’est ce qu’on pourrait dire aussi à ces compositeurs qui fatiguent le public de leurs savantes combinaisons, mais qui n’ont pas reçu comme M. Auber le don de charmer.

Mlle Caroline Duprez a beaucoup contribué au succès de Marco Spada. Fille d’un artiste incomparable, dont le nom restera dans l’histoire de la musique de notre temps, jeune, jolie et spirituelle, elle porte avec elle un parfum de bonne compagnie, qui n’est pas la moins précieuse de ses qualités. Musicienne, comme on dit, jusqu’au bout des ongles et toute remplie de ce fluide divin qui tourmente et consume ceux qui le possèdent. Mme Caroline Duprez est du petit nombre des élus. Nous aurions bien, sans doute, à lui soumettre quelques observations et à lui demander compte de certains points d’orgue hasardeux, de certaines inflexions de voix, de certains mots empruntés à Mlle Rachel, et qui ne sont pas mieux dans la bouche de la célèbre tragédienne que dans celle de la jeune cantatrice, car notre temps est fertile en contrefaçons de la simple nature; mais à Dieu ne plaise que nous imitions l’exemple de cette méchante fée qui mettait dans le berceau des enfans les mieux doués des mots cabalistiques et de mauvais augure! Que Mlle Caroline Duprez jouisse donc de son beau succès, mais qu’elle ménage cette voix fragile qui nous inquiète parfois, car, en l’écoutant franchir certains intervalles scabreux, comme dans son grand air du troisième acte, nous serions tenté de nous écrier avec Mme de Sévigné : Oh! ma fille, j’ai mal à votre poitrine. M. Bataille, qui ne manque pas de mérite, mais qui porte dans tous ses rôles une sorte de grognement de vieux Cassandre dont il ne peut se dépêtrer, se tire avec assez de bonheur du rôle de Marco Spada, et M. Couderc le seconde bien dans le personnage ridicule du patito Pepinelli. Il y a de l’ensemble dans l’exécution, et l’orchestre surtout est conduit avec intelligence par M. Tillemann.

L’opéra de Marco Spada, qui est comme une anthologie de l’œuvre de M. Auber, devrait clore, ce nous semble, la carrière si brillante de l’illustre compositeur. Il serait peut-être dangereux d’exiger davantage de cette muse coquette et parlant capricieuse qui vient de vous sourire encore une fois avec tant de grâce, mais qui pourrait se fatiguer de vos importunités. Si Boïeldieu