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de nouveaux titres à la popularité. Le 15 décembre 1779, il annonça et le 11 février suivant il proposa son célèbre bill pour la réforme économique. C’était une attaque aux sinécures, à l’abus des pensions, à l’irrégularité des dépenses de la liste civile. Disons mieux, c’était le feu porté dans l’arsenal de la corruption.

C’est une des premières fois que nous rencontrons ce mot de réforme destiné à une telle fortune dans l’histoire du gouvernement anglais. Une réforme sérieuse est une des entreprises les plus difficiles que puisse former un homme d’état. Rien n’est plus simple pour un parti. Le plus souvent il part d’une idée absolue, et une idée absolue conduit d’ordinaire à un changement radical. Qu’il y ait des pays et surtout des temps où l’on ne puisse guère procéder autrement, il serait téméraire de le nier contre le témoignage de l’histoire ; mais c’est avouer qu’il y a des pays et surtout des temps faits pour les révolutions. Idée absolue et suppression radicale sont généralement des moyens révolutionnaires. Excellent pour la destruction, l’emploi de ces moyens ne rend pas facile de remplacer ce qu’on a retranché, de rebâtir après avoir démoli. Peut-être est-ce une tâche au-dessus de la sagesse humaine que celle de refaire intégralement de quoi remplir le vide qu’elle a creusé, car cette tâche ressemble à de la création. La réforme est au contraire le triomphe du véritable homme politique. Elle demande autant de courage, quoiqu’elle suppose moins de témérité. Elle doit être entreprise au nom d’une idée générale, quoiqu’elle n’émane pas d’une idée absolue, car il faut qu’elle se rattache à un système, et qu’elle ait un autre but qu’elle-même. Autrement, elle se réduirait à une simple amélioration administrative. Elle exige dans son auteur une sûreté de jugement qui en marque le but et le moment, qui en détermine la portée, — un esprit pratique qui tienne compte des faits et ne s’y asservisse pas, une raison ferme que ne troublent ni les difficultés apparentes, ni les obstacles réels, ni les objections bruyantes, ni les objections spécieuses, — la persévérance et l’autorité du caractère qui surmontent sans trouble et sans emportement la résistance opiniâtre des intérêts, des préjugés et des passions; car il faut qu’une réforme vienne à propos, qu’elle devance la nécessité sans être prématurée, qu’elle soit mesurée et non timide, efficace et non perturbatrice, et que, fondée sur une grande idée et un intérêt public, elle satisfasse l’expérience et la raison, en ne blessant que la routine et l’égoïsme. L’honneur d’un homme public est d’attacher son nom à une réforme heureuse.

Burke était propre à cette noble tâche. Ses convictions une fois faites, elles le passionnaient assez pour qu’il les servît avec vigueur. Peu fait pour les spéculations philosophiques, il aimait cependant ces