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plaçant sous les doigts de Laura des objets familiers à son enfance. Après n’avoir longtemps manifesté que de l’indifférence, un souvenir vague, un soupçon, s’élevèrent tout à coup dans l’âme de Laura. Elle pâlit, rougit, se jeta sur le sein de sa mère et fondit en larmes. M. Howe m’a raconté comment elle est arrivée à comprendre l’existence de Dieu : c’est comme les philosophes, par l’idée de causalité. « Il y a des choses que les hommes ne peuvent faire, disait-elle, et qui pourtant existent, la pluie par exemple. » Ce n’est pas le spectacle de la nature ou le bruit de la foudre qui lui ont révélé la Divinité, car pour elle la nature est voilée et la foudre est muette ; il a suffi de l’impression produite par une goutte d’eau pour faire naître dans son esprit cette question de la cause que l’homme pose nécessairement, et à laquelle il n’y a qu’une réponse : Dieu.


Canada.

J’ai pris le chemin de fer, dont je viens de voir célébrer l’ouverture avec tant de solennité, et qui conduit de Boston à Montréal.

Quelques heures après notre départ, le chemin de fer nous a conduits au milieu des défrichemens. Le spectacle qu’on allait chercher, il y a quelques années, avec des fatigues infinies, au fond des forêts vierges, aux limites de la civilisation, on le rencontre maintenant sur les bords d’un chemin de fer. Voilà bien les divers degrés du settlement, les restes des troncs brûlés pour éclaircir le sol, la maison de bois qu’on vient de construire avec les arbres, que la hache a couchés, des essais de culture entre ces maisons de bois et ces troncs d’arbres noircis par le feu. C’est ainsi que commencent les sociétés. Ces pierres d’attente de l’avenir parlent à mon imagination un autre langage que les débris du passé, mais elles ne l’ébranlent pas moins fortement. Quand je contemplais des ruines en Italie, en Grèce, en Égypte, je rêvais à ce qui a été : en contemplant ces rudimens d’habitations humaines, je rêve à ce qui sera. Des tronçons de colonne épars sur le sol sont sans doute plus beaux que ces tronçons de sapin à demi brûlés ; mais je ne sais s’ils ont plus de poésie, et surtout plus d’éloquence. Et puis, il est si étrange de voir fuir et tournoyer cette scène d’une civilisation encore sauvage, emporté que l’on est soi-même à travers les sapins, les cabanes de bois, les défrichemens, par ce boulet qui entraîne avec fracas quatre cents personnes, dont un grand nombre se précipite dans l’ouest, pour aller faire plus loin ce qui me frappe ici.

Enfin nous arrivons au bord du Saint-Laurent. Il y a quelques jours, j’avais à Boston la température de Naples. C’est un autre climat, un autre monde ; le froid est vif ; l’eau verte du Saint-Laurent, les montagnes noires qui bornent l’horizon ont un air septentrional,