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cinquante sœurs dans cet établissement, qui contient quatre cents personnes. Ce qui m’a frappé, c’est l’air de sérénité, de bonheur et même de gaieté des religieuses. Ces saintes sont aimables comme des enfans. Puis je me suis rendu au dîner qu’on donnait à M. Lafontaine. Traité avec une distinction qui s’adressait à ma qualité de Français, j’ai été placé à côté du héros de cette fête patriotique. Les deux races, représentées par ce qu’elles ont à Montréal de plus respectable, fraternisaient franchement. M. Morin, que l’opinion désigne comme devant succéder dans le ministère à M. Lafontaine et y continuer sa politique, présidait le banquet. Il proposait les toasts, mêlant à ses paroles pleines de cordialité quelques traits narquois de vieille gaieté française, puis traduisait en anglais ce qu’il avait dit d’abord dans notre langue. Les discours ont été prononcés, les uns en anglais, les autres en français, et tous étaient inspirés par un sentiment de conciliation. Un seul orateur n’a pas caché sa préférence pour les États-Unis, qu’il a fait valoir aux dépens du Canada. On l’a laissé dire. M. Lafontaine a parlé en homme politique. M. Cartier, qui porte avec honneur le nom du célèbre Malouin, premier explorateur du Canada, s’est exprimé avec une chaleur toute bretonne. M. Loranger, jeune avocat de Montréal, a prononcé un discours très amusant à propos du toast aux dames. On m’a fait l’honneur de désirer que je répondisse à celui qui était adressé aux hôtes. L’expression très simple d’une sympathie bien vraie a été accueillie avec une faveur que je devais à ma qualité de compatriote. C’est ainsi du moins qu’il me semblait être accueilli, et quand, après avoir remercié l’assemblée de vouloir bien permettre à un étranger de prendre la parole dans cette solennité nationale, j’ai ajouté, ce qui pourra sembler singulier à mes lecteurs de Paris, si un Français peut être étranger au Canada, les bravos m’ont prouvé que ce sentiment n’était pas seulement dans mon cœur. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’effet qu’a produit le nom de Montmorency, ce nom, ai-je dit, le plus français de l’aristocratie française. Alors, dans cette assemblée libérale et démocratique, d’unanimes acclamations ont salué le symbole de la vieille patrie. Rien ne m’a mieux montré combien le culte des souvenirs nationaux s’est conservé fidèlement au Canada.

Je m’arrêterais bien volontiers plus longtemps dans cette autre France ; malheureusement l’hiver approche, je ne veux pas être surpris par la neige et les glaces. Je vais donc remonter le Saint-Laurent et traverser le lac Ontario pour atteindre Niagara et l’ouest des États-Unis ; mais je m’arrêterai dans un village habité par des Iroquois chrétiens. Ce village est peu éloigné de Montréal. Ainsi aujourd’hui parmi des Français, demain chez les Iroquois !


J.-J. AMPERE.