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fabrique a provoqué les premières atteintes au privilège des fils de terriers. Dès que la pépinière privilégiée devenait insuffisante pour le recrutement des fabriques, il fallait bien prendre en dehors les agens indispensables à la production.

La dernière catégorie des ouvriers de la Loire comprend les travailleurs occupés à l’extraction de la houille. Le labeur du charbonnier, qui paraît si brutal quand on l’envisage seulement en lui-même, prend une place éminente sur l’échelle des travaux industriels dès qu’on le regarde du point de vue des services qu’il rend à la société. Ces troglodytes, dont le visage noirci ne rappelle plus qu’imparfaitement la face humaine, sont les agens de la production universelle. Agriculteur d’un genre singulier, le mineur déchire la terre non pour la féconder, mais pour lui arracher le principal aliment de l’industrie moderne ; au-dessous de nos riantes prairies et de nos champs verdoyans, il récolte des moissons là où les mains de l’homme n’ont rien semé; mais il ne peut pas porter ses regards vers le firmament, il touche son ciel avec la main, parfois même il lui est impossible de se dresser de toute sa hauteur, et il a plus réellement qu’Atlas la terre sur ses épaules. Point de lumière autour de lui; son soleil consiste dans la petite lampe attachée à son chapeau, et dont la lueur blafarde lui fait mieux sentir l’obscurité où il est plongé. Les charbonniers passent au moins douze heures par jour sous terre : ils emportent avec eux leur nourriture quotidienne. Menacés à tout moment, tantôt par un soudain éboulement des terres, tantôt par le choc de quelque appareil inaperçu, tantôt par la subite atteinte de cet ennemi perfide qu’ils appellent tout simplement le grisou, ils s’accoutument bientôt néanmoins à leur existence au point de ne pouvoir plus guère, au bout d’un certain temps, reprendre le travail en plein soleil.

On voit quels frappans contrastes divisent les travaux exécutés dans ces industrieuses montagnes du Forez; ces contrastes ne sont pas sans influence sur l’état moral des diverses classes d’ouvriers qui les habitent.


II. — MOEURS ET CARACTÈRE DES OUVRIERS DE LA LOIRE.

Quel que soit le milieu où l’homme se trouve placé, à quelque labeur qu’il ait voué sa vie, toujours une partie de lui-même reste immuable : c’est celle qui compose le fonds de la personnalité humaine; mais les objets qui entourent chaque individu, la carrière dans laquelle s’exerce son activité, viennent ensuite agir singulièrement sur ses inclinations et lui imprimer ce sceau profond de l’habitude qu’on nomme une seconde nature. On croit souvent que l’homme choisit sa profession alors que sa liberté est dominée ou considérablement