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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/431

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vaste habitation dont le palmier a fourni la charpente, le toit et les cloisons. Les Espagnols transportent avec eux, sur tous les points du globe, leur sobriété insouciante et leur dédain des superfluités de la vie. Il n’est plage si déserte, établissement si sauvage où l’on ne trouve le Hollandais entouré d’un bien-être qu’il aime à partager avec le voyageur. L’hospitalité de M. Scholten eût fait honneur à un vice-roi : sa gaieté, la libre et charmante effusion de son entretien auraient pu donner du prix au brouet noir. Nous ne pûmes accorder cependant qu’un jour à ses instances; mais cette journée, nous la passâmes presque tout entière à table ou à cheval.

On rencontre à chaque pas dans les Indes néerlandaises des cours d’eau qui se précipitent tout échevelés du sommet des montagnes au fond des précipices. Ces cascades servent ordinairement de but aux promenades des touristes. Je n’en connais point de plus imposante que celle de Bonthain. M. Scholten ne voulut céder à personne le plaisir de nous montrer cette merveille; mais il fallut quelque temps pour rassembler les chevaux qu’exigeait une troupe aussi nombreuse que la nôtre. Le résident hollandais avait cependant près de lui un homme auquel rien n’était impossible. C’était un chef indigène spécialement attaché à sa personne, — un capitaine des gardes, dont le premier devoir était de veiller à la sûreté du résident, qui ne le quittait point d’un pas, et le suivait partout avec la tendresse et le dévouement d’un séide. Ce vieux guerrier, dont les vêtemens entr’ouverts laissaient apercevoir de nombreuses cicatrices, avait jadis conduit les troupes du général Van Geen vers la capitale du roi de Boni. Il passait pour l’homme le plus brave du district, et la sécurité du résident au milieu des hordes féroces dont il était entouré s’expliquait peut-être un peu par la présence tutélaire de cet ange gardien. On ne saurait toutefois méconnaître l’influence en quelque sorte magnétique qu’exerce sur ces hommes violens la calme fermeté de la race hollandaise. Quelques jours avant notre arrivée, deux hommes de noble extraction avaient échangé quelques propos railleurs. L’un d’eux se croit insulté, il marche droit à son adversaire et le frappe de sa sagaie; l’autre, quoique blessé, riposte, puis tous deux, par un mouvement simultané, abandonnent leurs javelines. Ils se saisissent au corps, et, s’embrassant d’une main, de l’autre ils se plongent à coups redoublés leur kris dans la poitrine. Le moins vigoureux des champions s’affaisse enfin sur lui-même. Le résident accourt. Le vainqueur, dont le sang fuit par vingt blessures, cède sans résistance au regard de l’Européen. Il remet lui-même entre les mains du résident l’arme qu’un bataillon d’indigènes n’eût pu lui arracher, et se laisse, sans oser proférer une plainte ou une menace, entraîner vers la prison. »