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demeure. L’éclat du stuc qui couvrait les murailles, la blancheur des colonnes, la fraîcheur des grandes dalles, la paraient mieux que n’auraient pu le faire les lourdes draperies et les lambris dorés de nos salons. Ce n’était qu’une miniature de palais, mais les ouvriers de l’Ionie avaient dû, aux plus beaux jours de la Grèce, en élever de semblables. Point de porte à ouvrir pour passer du vestibule dans le salon ou du salon dans la galerie intérieure. La brise errait librement d’une pièce à l’autre sans avoir à soulever une tenture. Des meubles de laque et de rotin, des vases d’albâtre, des globes de cristal, voilà les seuls objets que nos yeux rencontraient dans ces appartemens. Tout à coup, d’un des angles du salon nous vîmes s’élancer, avec un jappement joyeux, la plus ravissante petite créature qui ait jamais mérité de dormir sur les genoux d’une marquise : c’était un chien du Japon à la robe noire et soyeuse marbrée de raies blanches et de taches de feu, un chien de la grosseur d’un rat, doué de la vivacité d’un écureuil. Il y avait une noblesse dans sa petite tête, une intelligence dans son regard, qui relevaient au-dessus de la classe ordinaire des roquets. Les caniches lilliputiens de Manille, les bassets de Péking avec leurs jambes torses et leurs gros yeux à fleur de tête, auraient eu l’air de Calibans auprès de lui. M. van Rees l’avait payé un prix fabuleux ; ne fallait-il pas cet Ariel pour garder ce palais enchanté ?

Dès que la voiture de M. van Rees fut avancée, nous partîmes pour nous rendre chez M. le comte de Rochussen, et, au bout de quelques minutes, nous montions les degrés de l’hôtel du gouvernement. Le vice-roi des Indes néerlandaises ne saurait être entouré de trop de splendeur. Il faut que les populations se prosternent devant le faste qui l’environne. Nulle somptuosité de mauvais goût ne dépare pourtant la demeure qu’il habite. On a su donner à cet édifice un cachet de grandeur sans rien sacrifier de la simplicité qui convient aux palais de l’Orient. Des salles vastes et nues, froides comme une statue qui vient de sortir d’un bloc de Carrare, des plafonds supportés par des piliers doriques, des sièges rangés en demi-cercle au milieu d’une immense galerie, je ne sais quelle gravité imposante, qui semblait avoir passé des lignes de cette architecture dans les habitudes de cette enceinte, rembrunirent nos fronts et imprimèrent soudain à notre démarche une raideur officielle. À l’entrée du vestibule, nous trouvâmes un aide-de-camp qui nous conduisit auprès du gouverneur-général, M. de Rochussen portait l’uniforme de maréchal, symbole des vastes pouvoirs qui lui étaient conférés. De nombreux officiers en grande tenue entouraient le gouverneur, et semblaient composer sa maison militaire. Je ne sais si le palais du roi Guillaume eût présenté un aspect plus royal ; j’avais sûrement vu pour ma part plus d’une tête couronnée qu’environnaient moins d’éclat et