moins d’étiquette. Avant de nous faire asseoir, M. de Rochussen voulut nous présenter lui-même à M. le duc Bernard de Saxe-Weimar, lieutenant-gouverneur et commandant de l’armée des Indes. Tous les étrangers qui ont eu l’honneur d’être reçus à Batavia par M. de Rochussen savent quelle aménité et quelle grâce bienveillante tempéraient chez cet homme d’état la réserve et la dignité dont ses hautes fonctions lui faisaient un devoir. Le duc Bernard est à bon droit cité comme l’un des hommes les plus aimables et les plus spirituels qu’aient produits ces maisons princières de l’Allemagne unies par tant de liens intimes à la plupart des souverains de l’Europe. Nous ne prolongeâmes point cette première visite ; mais, quand nous quittâmes le gouverneur-général de Batavia, nous avions appris une fois de plus que la véritable courtoisie peut ne rien perdre de son charme aux formes solennelles dont une étiquette rigoureuse l’entoure.
M. van Rees voulut nous ramener à son hôtel ; il m’y réservait une aimable surprise : la première personne qui s’offrit à mes regards, quand je descendis de voiture, ce fut le docteur Burger. Instruit de mon arrivée par le résident, il accourait pour m’enlever au passage. Ce n’eût point été de la discrétion, c’eût été de l’ingratitude, que de vouloir me soustraire aux empressemens d’une amitié qui avait si bien résisté à quatre années d’absence. Le docteur triompha donc aisément des objections que j’essayai d’opposer à ses instances. Dès cette nuit même, je devins son hôte. Les émotions de la journée ne m’empêchèrent pas de goûter un sommeil paisible. Lorsque j’ouvris les yeux, le globe du soleil se montrait déjà comme un météore enflammé au-dessus de l’horizon. Le docteur était levé depuis plus d’une heure. Selon son habitude, il s’était empressé de quitter sa chambre pour venir s’asseoir sous le péristyle. Vêtu de la cabaya malaise et d’un large pantalon d’indienne qu’un cordon de soie serrait autour de sa taille, étendu dans un grand fauteuil à dossier renversé, les pieds posés sur les barreaux d’une chaise, le coude appuyé sur un guéridon, il aspirait en rêvant la fraîcheur du matin. Je me hâtai de m’habiller et d’aller prendre place à côté de lui. La rencontre d’un ami est toujours une bonne fortune ; mais, quand cette rencontre a lieu sur la terre étrangère, quand elle transforme une ville indifférente en un lieu de refuge où le cœur longtemps comprimé ne craint plus de s’ouvrir, il faut remercier le ciel d’une double faveur. Jamais je ne m’étais senti mieux disposé à admirer les beautés de la nature. La température en ce moment était délicieuse. La brise de terre qui avait régné toute la nuit avait rafraîchi l’atmosphère, et les premiers rayons du soleil venaient de condenser cette humidité pénétrante qui tombe incessamment du ciel bleu des tropiques. La maison de M. Burger était bâtie sur le bord du canal que nous avions entrevu la veille. On n’avait que quelques pas à faire pour se plonger au sortir du lit