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Radetzky connaissait à peu près les forces ennemies ; il savait qu’elles se dirigeaient vers Novare. Il s’agissait donc pour lui de faire croire au général polonais qu’on évacuait Milan pour se porter derrière l’Adda, puis tout à coup de franchir le Tessin par un mouvement rapide et de se jeter avec toute son armée sur le flanc droit de son adversaire avant que celui-ci eût te temps de préparer son offensive. Ce plan, tout simple qu’il était, ne fut pas déjoué par Chrzanowsky. Tout commandait à Radetzky une stratégie d’initiative et de vigueur : la force de ses troupes, leur supériorité morale, conséquence de leurs récens succès, le calme du pays, en un mot ces divers avantages qui décident un capitaine à porter chez l’ennemi le théâtre de l’action. Et pourtant on s’entêta jusqu’au dernier moment à croire qu’il allait, comme par le passé, recommencer à battre en retraite ; déjà on le voyait sur l’autre rive de l’Adda, que dis-je ? de l’autre côté du Mincio. Illusion funeste que rien ne dissipait ! « À Turin ! » s’était écrié le maréchal dans une proclamation à ses soldats, et ce mot superbe où la vérité se faisait jour sous la colère passait au camp ennemi pour une hâblerie de rodomont. « Mes adversaires avoueront du moins qu’ils n’eurent pas à s’en prendre à moi de leur aveuglement, car je leur avais dit franchement, et le cœur sur la main, ce que j’allais faire. Il est vrai que probablement cette raison fut cause qu’ils ne me crurent pas. » En effet, personne n’y voulut croire, témoin cette anecdote assez bouffonne. Le maréchal, quittant Milan à la tête de son état-major, sortit par la Porta Romana, laquelle est juste à l’opposite de la Porta Vercellina, qui est celle qui conduit à Turin ; sur quoi un mauvais plaisant, faisant allusion à l’ordre du jour de la veille, imagina de hisser à la Porta Romana un écriteau avec cette inscription dérisoire : Via per Turino ; — absolument comme si, à la grille de la barrière de l’Étoile, quelqu’un s’amusait à mettre : route d’Italie. Le maréchal, quand on lui rapporta ce coq-à-l’âne, s’en divertit beaucoup, et continua sa marche sur Lodi à la grande satisfaction des rieurs dupes de son jeu, et dix jours après (28 mars 1849) le vainqueur de Novare rentrait à Milan, mais par la porte Vercellina cette fois !

Pour combattre l’Autriche, le Piémont avait dû recourir à la plus dangereuse des alliées : la révolution. La bataille de Novare ayant tranché la question entre les deux états, la couronne de Sardaigne eut à son tour à tenir tête à son alliée, qui ne tarda point à lui rompre en visière. Gênes la républicaine, Gênes, l’antique foyer des bouderies patriciennes et pour le moment l’objet des plus tendres sollicitudes de Mazzini et de ses préoccupations les plus vives, joua dans cette affaire à l’égard du Piémont le rôle de Venise envers l’Autriche. Au premier bruit de la défaite de Novare, l’insurrection éclate, et