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L’exploitation des lignes à vapeur est si peu connue en France, que l’on risque fort de se tromper dans la rédaction du premier cahier des charges, et la compagnie elle-même doit comprendre que le gouvernement sera beaucoup plus libéral à son égard, si la fixation d’un maximum de dividende le garantit à l’avance contre les résultats prolongés d’une erreur préjudiciable au trésor. D’ailleurs, la limitation des bénéfices ne constituerait pas précisément une innovation dans la jurisprudence administrative sur la matière. Il y a des compagnies de chemin de fer qui sont tenues de partager avec l’état les produits dépassant une certaine proportion.

C’est en combinant ces divers modes que l’on parviendra à fixer le taux de la subvention réclamée par les paquebots transatlantiques. Cette subvention, il faut le prévoir, atteindra un chiffre élevé ; autrement on ne trouverait point de capitaux disposés à courir les chances de l’entreprise, et il est de toute nécessité que l’opération soit enfin tentée sérieusement ; l’intérêt national veut qu’elle réussisse. Aussi, ne doit-on pas se contenter de garantir à la compagnie l’assistance pécuniaire de l’état ; il importe également de rechercher si, par d’autres moyens, on ne pourrait pas lui procurer soit une diminution de dépenses, soit un accroissement de recettes. On sait, par exemple, que la construction des navires coûte plus cher en France qu’à l’étranger : ce désavantage tient aux règlemens de notre législation douanière, qui interdit l’achat des navires à l’étranger et frappe de droits élevés les matières propres aux constructions navales. On a déjà proposé de supprimer ces restrictions, que l’Angleterre, les Pays-Bas et la plupart des peuples maritimes ont rayées de leur tarif ; mais la mesure est vivement combattue par les industriels, et il est difficile de prévoir à quelle époque elle remplacera définitivement le régime si défavorable qui pèse sur nos arméniens. Dans cette situation, ne devrait-on pas au moins admettre une exception pour les paquebots transatlantiques et autoriser leur construction en entrepôt[1] ? L’économie serait importante pour les navires en fer. On pourrait aller plus loin. S’il est reconnu que nos chantiers et nos ateliers ne sont pas aujourd’hui suffisamment outillés pour livrer, dans un délai assez court, une vingtaine de navires d’un tonnage et d’une force qui dépassent les constructions ordinaires, pourquoi ne permettrait-on pas à la compagnie de se procurer à l’étranger la moitié de ses bâtimens ? Les industriels seraient-ils en droit de se plaindre et d’invoquer, suivant l’usage, le grand argument de la protection due au travail intérieur ? Nous ne le pensons pas. Le gouvernement a, depuis un an, imprimé une impulsion si vigoureuse aux travaux publics, surtout à la construction des chemins de fer, il a donné tant de gages de son respect pour le principe de la protection manufacturière, que les maîtres de forges ne sauraient, sans ingratitude, s’élever contre une faveur exceptionnelle, temporaire, accordée à une œuvre essentiellement nationale. Cette dérogation à notre régime économique aurait un double effet : elle accélérerait, au profit du public, l’organisation des services ; elle diminuerait les frais des navires et par suite le chiffre de la subvention payée par l’état.

  1. La loi du 6 mai 1841 a exempté de tous droits de douanes les machines à vapeur de fabrication étrangère destinées à la navigation internationale maritime.