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ADELINE PROTAT.

soin, on aurait pu comparer sa physionomie à un dessin retouché par un maître habile, qui, sans altérer l’expression originelle, l’aurait comme anoblie en rectifiant l’irrégularité du contour primitif. Par une habitude où la coquetterie pouvait ne pas être étrangère, Adeline restait la tête nue en toute saison, et prenait un soin particulier de ses jolis cheveux châtains, fins comme la soie la plus fine, et qu’elle portait en bandeaux plats et luisans, ramenés derrière ses oreilles, dont le dessin pur et la blancheur se trouvaient ainsi mis en relief par le voisinage de sa chevelure foncée. Bien qu’il fût en apparence celui des femmes de la campagne, son costume se distinguait par l’harmonie qui régnait dans la couleur paisible des étoffes communes et grossières qui le composaient. Les tons criards ne s’y injuriaient pas entre eux par ces violentes oppositions que les villageoises combinent à dessein dans leurs vêtemens, et que l’on peut, même à la ville, remarquer dans la toilette d’une certaine classe de femmes qui forment comme le conservatoire du mauvais goût. Adeline taillait d’ailleurs et cousait elle-même ses habits, et elle savait toujours risquer à propos quelque ingénieux coup de ciseau qui donnait de la tournure au vêtement le plus vulgaire. Dans l’arrangement de sa personne, dans sa démarche, dans ses attitudes et ses mouvemens, enfin dans toutes ses façons d’être ou d’agir, cette jeune fille, encore enfant par les apparences, indiquait en elle une recherche de distinction qu’elle atteignait avec d’autant plus de facilité, qu’elle y était portée par ses instincts naturels. Sa voix, qui n’avait aucun accent de terroir, était très douce. Elle la traînait quelquefois comme font les personnes qui s’écoutent parler et veulent qu’on les écoute. Il y avait certains mots insignifians par eux-mêmes auxquels sa façon de les dire donnait un charme qu'on subissait sans pouvoir s’en rendre compte. Quant à son langage, il suffisait de l’avoir entendue causer cinq minutes pour deviner que ce n’était pas seulement aux leçons du magister communal qu’elle avait appris à s’exprimer avec autant de correction et de facilité.

Pour achever l’ébauche de ce portrait rapide, qui se trouvera complété plus tard, entre autres singularités de nature à étonner chez une petite paysanne, fille du sabotier d’un petit village, nous ajouterons qu’Adeline avait des mains sinon très pures de forme, au moins suffisamment soignées pour ne pas faire un contraste trop violent avec la délicatesse un peu maladive de sa personne. Il était évident que ces petites mains ignoraient les durs travaux de la vie rustique. En effet, pour des raisons que nous ferons connaître, et qui donneront l’explication de certains détails qui pourraient sembler étranges dans le portrait de cette jeune fille, Adeline n’avait jamais mis le pied dans les champs, et son père possédait cependant quelques arpens de dif-