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ADELINE PROTAT.

voracité. Le père Protat, voulant laisser à son hôte le temps d’apaiser sa première faim, gardait le silence et se tenait à quelque distance de l’artiste, autour de qui se mouvait Adeline, veillant toujours à ce qu’il eût du pain coupé auprès de son assiette, remplissant son verre dès qu’il était vide, et ne lui donnant pas le temps de rien demander qu’il ne le trouvât aussitôt sous sa main. Cet empressement dégagé de toute forme servile était remarqué de celui qui en était l’objet, et de temps en temps il laissait échapper un geste affectueux ou une obligeante parole qui semblait doubler le plaisir que la jeune fille éprouvait à l’entourer de ses soins.

— Voilà du poisson délicieux, s’écria Lazare, et merveilleusement accommodé. Il faudra que j’en complimente Madelon ; mais à propos, où donc est-elle ?

— Elle est à la cuisine, répondit Adeline. Je vais la rejoindre, et je lui dirai que vous avez trouvé la matelotte à votre goût ; ça lui fera plaisir, car elle avait bien peur de ne pas la réussir.

Au même instant, la vieille servante, de qui l’on parlait, parut sur le seuil de l’escalier.

— Eh ! bonjour, mère Madelon ! s’écria Lazare, qui l’aperçut le premier. Arrivez donc que l’on vous complimente ! Savez-vous que vous êtes devenue un vrai cordon bleu ?

— Dam, monsieur Lazare, dit la vieille en faisant une révérence, on sait que vous êtes une fine bouche, et on tâche de se distinguer. Vous allez me dire si vous êtes content de ça, ajouta-t-elle en déposant sur la table le plat qu’elle tenait dans ses mains. C’est de la viande peu cuite, elle n’a fait que passer devant le feu ; mais je me suis souvenue que vous aimiez à manger les côtelettes vivantes.

— Parfait, dit Lazare en découpant la viande, qui laissa jaillir un jet de sang sous le couteau.

— Comment pouvez-vous manger ça sans que le cœur vous lève ? dit la vieille en faisant un geste de répugnance. Défunt mon pauvre Caporal, qui n’était pourtant pas une bête difficile, n’en aurait jamais voulu.

— Mère Madelon, c’est délicieux, fit l’artiste.

— J’aime mieux le croire que d’y aller voir, répondit la bonne femme. Et se retournant vers Adeline : Viens avec moi, ma fille, lui dit-elle, j’ai besoin de toi là-haut pour préparer le café de M. Lazare. Je ne saurais jamais me servir de cette mécanique que nous avons achetée ce matin à Moret.

Adeline et la vieille Madelon disparurent ensemble par l’escalier qui conduisait à la cuisine.

La maison du bonhomme Protat devant être le centre principal où se passeront les scènes de cette histoire et les principaux person-