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qui venait d’en sortir, et celui-ci parut surpris de voir son paroissien, qui ne venait ordinairement à l’église que pour assister à la messe du bout de l’an dite en mémoire de sa femme.

— Est-ce que vous aviez à me parler ? demanda le prêtre.

— Non, monsieur le curé, pas à vous, mais au bon Dieu. Je viens lui demander d’avoir pitié de ma petite fille, qui va bien mal.

— Dieu vous entende et vous exauce ! répondit le prêtre. Je le prierai aussi pour qu’il vous conserve votre enfant. — Et il ajouta doucement, avec une intention qui semblait vouloir reprocher au sabotier la rareté de ses apparitions à l’église : Dieu n’est pas comme les hommes qu’on ne rencontre jamais quand on a besoin d’eux. Si rarement qu’on vienne le voir, on est toujours sûr de le trouver. Entrez, père Protat, ajouta-t-il en désignant la porte de l’église ; vous serez seul !

— Je n’ai pas peur qu’on me voie, répondit fermement le sabotier. Je voudrais, au contraire, que tout le village fût là pour écouter ma prière. Quand on l’aurait entendue, on ne dirait peut-être plus les vilaines choses qu’on dit.

Le curé savait vaguement les calomnies dont son paroissien était l’objet.

— Je sais que vous êtes un honnête homme et un tendre père, dit-il à Protat. Celui que vous allez prier le sait aussi, et c’est pourquoi il vous écoutera.

— Merci de m’avoir dit ça, monsieur le curé, fit le sabotier avec émotion, cela me donnera de la confiance. — Et il entra dans l’église.

C’était un petit temple rustique où l’on ne voyait aucune apparence de luxe. Les murailles, blanchies à la chaux, étaient nues, sauf une douzaine de lithographies grossièrement coloriées et encadrées de sapin, qui représentaient les douze stations du chemin de la croix. Le grand autel, situé au fond de la nef, n’avait aucun ornement d’art. La nappe était bien blanche, mais sans broderie, et reprisée en mille endroits. Les chandeliers étaient de bois tourné, la croix en métal imitant l’argent, et, pour la conserver plus longtemps, on l’enveloppait d’un morceau de gaze que l’on retirait seulement les jours de fête et les dimanches. Le chœur était entouré d’une demi-douzaine de stalles de chêne verni, sans aucune sculpture. Au milieu du chœur brûlait la lampe du tabernacle, seul objet de valeur que possédât la fabrique. Cette lampe était en argent, et avait été offerte à l’église de Montigny par l’évêque du diocèse pendant une de ses tournées. Dans cette modeste maison édifiée à son culte, Dieu paraissait aussi pauvre que le jour où il vint au monde dans une étable. L’impression que l’on éprouvait au milieu de cette simplicité n’était peut-être point la même que celle qui s’empare de l’âme sous les voûtes des