et pris le nom qu’il porte actuellement. C’est en 1788 que ce changement s’opéra, et Walter en donna les raisons dans un avertissement au public en style burlesque. La principale était que le titre précédent, composé de trois mots, Daily universal Register, était beaucoup trop long, que le public omettait invariablement les deux adjectifs, et qu’il en résultait une confusion avec tous les autres recueils du nom de Register. Le mot Times, au contraire, était un monosyllabe facile à prononcer; il arrivait très-net et très-distinct à l’oreille, et il ne se prêtait à aucune confusion, à aucune transformation ridicule. Cet avertissement, rempli de jeux de mots et de calembours, se terminait par quelques lignes plus sérieuses, dans lesquelles John Walter promettait de ne négliger rien de ce que peuvent faire l’activité ou l’industrie, pour donner aux comptes-rendus parlementaires l’étendue la plus complète, l’exactitude la plus minutieuse et la plus stricte impartialité. Ces promesses montrent quelle importance le public attachait aux débats du parlement, et expliquent le succès que Perry avait obtenu au Gazetteer, ensuite au Chronicle, en attachant à ses journaux des relais de sténographes.
Cependant le véritable fondateur du Times, l’auteur de sa prodigieuse fortune, n’est pas John Walter; c’est son fils, qui prit la direction du journal en 1803, et la conserva jusqu’à sa mort, arrivée en juillet 1847. L’idée fixe du second Walter fut de bien établir aux yeux de tous la complète indépendance de son journal : il eut sans cesse pour objet de faire de la presse l’organe et comme la représentation effective de l’opinion publique, et de la constituer comme une puissance rivale à côté du gouvernement, d’en faire, en un mot, un quatrième pouvoir dans l’état. Il a lui-même, en 1810, exposé dans son journal les principes qui dirigèrent sa conduite dès le jour où il prit en main la direction du Times. « Le propriétaire actuel, dit-il, avait donné dès le premier jour son appui consciencieux et désintéressé au ministère d’alors, celui de lord Sidmouth. Le journal continua de soutenir les hommes au pouvoir, mais sans leur permettre de s’acquitter envers lui par des communications de nature à diminuer en rien les dépenses de l’entreprise. L’éditeur sentait trop bien qu’en acceptant cette compensation, il aurait sacrifié le droit de condamner un acte qu’il aurait regardé comme préjudiciable au bien public. Le ministère Sidmouth eut donc son appui, parce qu’il le croyait, comme c’est encore son opinion, une administration honnête et digne ; mais, ne sachant si cette administration persévérerait dans la même voie, l’éditeur ne crut pas devoir aliéner son droit de libre jugement en acceptant aucun service, même offert de la façon la plus irrépréhensible. »
Quand lord Sidmouth eut été renversé par M. Pitt, le Times ne tarda point à se prononcer contre le nouveau ministère. Il en coûta au père de Walter la clientèle des douanes dont il était l’imprimeur depuis dix-huit ans. Walter ne voulut accepter d’aucune des administrations suivantes ni la restitution de ce privilège ni une compensation quelconque, de peur de contracter une obligation. La perte de ce privilège ne fut pourtant pas la seule conséquence de son hostilité pour le gouvernement : le ministère de M. Pitt ne négligea rien pour traverser dans son entreprise le publiciste indépendant. C’était le moment des grandes guerres du continent, et Walter, désireux d’établir la supériorité de son journal, avait organisé un vaste système de correspondances, dans lequel