nous conclurons par lui rappeler que l’apprenti Zéphyr était dans toute la maison le seul qui se fût montré hostile à l’arrivée de Lazare. Sans que personne en eût pu soupçonner la raison, il avait quitté l’artiste au seuil du logis de son maître, et avait disparu aussi rapidement que si on l’eût escamoté.
— Mais, demandait Lazare à son hôte en l’obligeant à trinquer encore une fois avec lui, pourquoi donc la fillette Adeline est-elle remontée là-haut si vite ? J’ai eu à peine le temps de la féliciter sur sa bonne mine.
— Je suis sûr, répondit le sabotier en lapant son vin avec la satisfaction d’un propriétaire, je suis sûr que ma fille et la Madelon sont remontées pour vous mijoter encore quelque friandise.
— Vous me recevez beaucoup plus en ami qu’en pensionnaire, savez-vous ? dit le jeune homme.
— En seriez-vous fâché, et l’amitié de pauvres gens comme nous vous serait-elle importune ?
Lazare protesta par un mouvement rapide.
— Non, n’est-ce pas ? continua le sabotier. En tous cas, ce serait bien mal. Quand, il y a trois jours, votre lettre est venue annoncer votre arrivée, elle a éclaté ici comme une bombe de joie. La petite n’y tenait plus d’aise, et la mère Madelon en était quasiment rajeunie. Il n’y a que Zéphyr qui ne s’est pas réjoui, et comme ça m’ennuyait de lui voir faire la mine quand nous étions tous contens, j’ai été forcé de le talocher pour le mettre de bonne humeur.
— Est-ce que j’aurais eu le malheur de déplaire à M. Zéphyr ? dit l’artiste en riant. Je m’étais bien douté qu’il n’était pas satisfait de mon retour à Montigny ; mais qu’est-ce que ça peut lui faire ?
— Ah ! je m’en doute un brin, répondit le père Protat : il se méfie que vous allez comme les autres années lui faire trimbaler vos outils sur le dos quand vous irez en forêt, et lui qui trouve déjà sa peau trop lourde à porter, ça va le gêner. Ah ! tenez, monsieur Lazare, je n’ai pas eu la main heureuse le soir où je l’ai ramassé tout bleu de froid sur le pavé de Bourron, et sans reproche, le bon Dieu aurait pu aussi bien mettre un autre chrétien que lui dans le sale torchon où je l’ai trouvé. Ah ! si je n’avais pas fait le vœu de recueillir un orphelin, après l’avoir retiré humainement, comme je l’ai fait, de la gueule du loup, il y a longtemps que je lui aurais dit : Mon garçon, tu dois avoir quelque part des parens dans le monde. Tu me diras que le monde est grand ; mais tu as des jambes, fais-moi le plaisir d’aller chercher ta famille !
— Allons, allons, père Protat, interrompit Lazare, vous ne dites pas ce que vous pensez, et ce n’est pas vrai que vous vous repentez d’une aussi bonne action dont Zéphyr se montrera reconnaissant tôt ou tard, quand il appréciera ce que vous avez fait et ferez encore pour lui.