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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1021

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unitairien Channing, qui a mérité d’être appelé le Fénelon de l’Amérique[1]. Channing disait en 1837, à l’occasion de l’expédition contre le Texas et des projets contre le Mexique : « Si ce pays se connaissait lui-même ou était disposé à profiter de cette connaissance, il sentirait la nécessité de mettre sans retard un frein à la passion qui le porte à étendre son territoire… Nous sommes une nation inquiète, portée aux empiétemens, impatiente des lois ordinaires du progrès… Nous nous vantons de notre accroissement rapide, oubliant que dans la nature toute croissance noble est lente noble growths are slow)… Peut-être il n’y a pas un peuple chez lequel les liens qui enchaînent aux lieux soient si relâchés. Même les tribus errantes sont attachées à un point du sol par les tombeaux de leurs pères ; mais les demeures et les tombeaux de nos pères ne nous retiennent que faiblement. Ce qui est connu et familier est souvent abandonné pour ce qui est lointain et inexploré, et quelquefois ces terres inexplorées n’en sont pas moins convoitées, parce qu’elles appartiennent à autrui… On dit que les nations sont gouvernées par des lois constantes comme celles qui régissent la matière, qu’elles ont leurs destinées ; que, par une nécessité pareille à celle qui fait écrouler un édifice caduc, les Indiens ont disparu devant la race blanche, et que la race mêlée et dégradée des Mexicains doit disparaître devant les Anglo-Saxons. Arrière ces sophismes ! Il n’y a pas de nécessité pour le crime ; il n’y a pas de destinée qui justifie les nations rapaces non plus que les joueurs et les brigands. Nous vantons le progrès de la société ; mais ce progrès consiste dans la substitution de la raison et du principe moral à l’empire de la force brute. Il est vrai qu’un peuple civilisé est toujours appelé à exercer une grande influence sur des voisins qui le sont moins que lui ; mais ce doit être pour éclairer et améliorer, non pour écraser et détruire. Nous parlons d’accomplir notre destinée ! Ainsi disait le dernier conquérant de l’Europe, et la destinée l’a relégué sur un rocher solitaire au milieu de l’océan, victime d’une ambition qui n’a été en définitive funeste qu’à lui. »

Channing montre ensuite les inconvéniens d’un grand empire pour la sûreté et la prospérité des États-Unis : » Nous attirerons en Amérique l’intervention des puissances européennes… Vulnérables sur beaucoup de points, nous aurons besoin d’une force militaire considérable ; de grandes armées demanderont de lourds impôts, et feront surgir de grands capitaines. Sommes-nous si las de la république, que nous lui donnions de tels gardiens ? La république a-t-elle résolu de périr de ses propres mains ? Qui ne sent que, si la guerre devient pour nous une habitude, nos institutions ne pourront être conservées !…

  1. A Letter on the Annexation of Texas to the United-Stales, by William Channing.