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hauteur de la tête du Christ, au lieu de le placer au niveau de sa poitrine ? M. Hébert a peut-être été séduit en ceci par le piquant d’un effet qui serait de mise dans un tableau de genre, mais que comporte assez peu un si grave sujet, et il s’est laissé aller à oublier que le visage du Christ, siège principal de l’expression et centre de la scène, devait tout d’abord attirer les regards. Pourquoi ne s’est-il pas rappelé non plus une autre loi pittoresque que les peintres anciens ont toujours observée ? pourquoi a-t-il donné au vêtement du Christ sur terre la couleur blanche qui n’appartient qu’au vêtement du Christ transfiguré ? Si le ton rouge de la robe avait dû contrarier l’effet choisi par M. Hébert, c’était son droit de modifier ce ton au point d’en indiquer seulement l’espèce ; mais il fallait à tout prix respecter une tradition qui a, comme toutes les traditions de ce genre, son sens symbolique et sa raison d’être. Malgré ces imperfections de détail et d’autres encore qu’il serait facile de relever, le Baiser de Judas a des titres fort sérieux à l’estime. Ce n’est pas une œuvre de maître, tant s’en faut, mais il s’en faut de beaucoup aussi que ce suit une œuvre sans portée. Elle a d’ailleurs une supériorité incontestable sur tous les tableaux religieux qui figurent au salon de cette année.

Parmi les autres toiles représentant des scènes tirées de l’Évangile ou de l’histoire des premiers chrétiens, quelques-unes se recommandent par la convenance des intentions et du style, à défaut de puissance et d’originalité. Telles sont : la Mort de la Sainte Vierge, par M. Lazerges, composition sage, ragionevole, comme dit Vasari de certains ouvrages sans qualités et sans défauts considérables ; la Conversion de Marie Madeleine, que M. Job a ingénieusement exprimée ; les deux tableaux où MM. Dumas et Maison nous montrent, avec un goût d’exécution sévère, mais au fond un peu académique, l’un la Séparation de saint Pierre et de saint Paul, l’autre le Pape saint Sixte II et saint Laurent surpris dans les catacombes de Rome ; enfin l’Annonciation, par M. Jalabert, sujet difficile, mille fois traité, et que le peintre a su rajeunir en donnant à la figure de la Vierge un mouvement qui ne manque ni de grâce pudique, ni de distinction. À l’apparition de l’envoyé céleste qui, soit dit en passant, est d’un type assez faiblement conçu, la Vierge tressaille et se réfugie en quelque sorte dans l’angle formé par le mur et le prie-dieu sur lequel elle est agenouillée. La figure est vue de dos ; le geste de son bras gauche accuse un étonnement craintif, et son visage, dont on n’aperçoit que le profil, va se dérober sous l’épaule, on oserait presque dire sous l’aile, car tout, dans cette jolie figure, rappelle la grâce et la timidité d’une colombe. Jolie est le mot qui convient à la Vierge M. Jalabert, et ce mot est à la fois un éloge et une critique. Il est bien, il est très méritoire sans doute d’avoir si délicatement rendu l’innocence et la pureté juvéniles dont le nom seul de Marie implique l’idée, mais il ne fallait pas que, au costume près, cette figure fut de celles que nous rencontrons dans la vie réelle. Le pinceau de M. Jalabert a fidèlement traduit le charme accoutumé de la naïveté et de la jeunesse, il n’a pas réussi à faire pressentir dans la vierge candide la sainte femme de l’Écriture, la mère future d’un Dieu.

Les divers tableaux dont nous venons d’indiquer la physionomie générale se recommandent par des qualités plus ou moins sérieuses à l’attention, et ne sauraient être confondus sans injustice avec les compositions religieuses quant au sujet, assez peu édifiantes quant au sentiment et au style,