Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âme dans le paradis ! Et dans ce bas monde ses frères l’ont bien vengé, et ils le vengent jusqu’à cette heure par leurs glorieux descendans. »

Les héros de la Croatie maritime sont aussi l’objet de nombreuses piesnas. Leur point commun de réunion est le port de Senïa, « nid de corsaires chrétiens redouté jusqu’à Bagdad et jusqu’au fond de l’Égypte. Combien de morts et de captifs turcs ont été apportés dans la blanche Senïa, Dieu seul le sait, Dieu et sa sainte mère, mes enfans ! » Au temps du siège de Vienne par les Ottomans, des bandes de faucons croates, conduits par deux aigles impériaux, — les deux généraux Stepan Ielatchitj et Ivo Kamenia, — voltigeaient, dévorant tout ce qui était turc, depuis Senïa jusqu’au Danube. La ruse au besoin suppléait chez eux le courage. Comme la citadelle turque de Siget résistait à tous leurs assauts, l’un d’eux, le hardi Prebek, s’habille en musulman, prie, salue, parle à la façon musulmane, et entre dans Siget comme fabricant de poudre. Arrêté par les sentinelles, il répond en turc très pur : — Je suis un Osmanli de la ville de Filibé. Mon métier est de faire de la poudre, et je vais ainsi de forteresse en forteresse fournir à mes frères les moyens de se défendre des Croates. — Le pacha de Siget reçoit l’étranger avec honneur, lui fait servir des sorbets et le loge dans son propre kanak. Prebek fabrique à loisir sa provision de poudre, et l’entasse dans les souterrains du château. Au milieu d’une nuit sombre, quand tous les Turcs donnent, il allume au fond des caves une mèche qui, une fois consumée, mettra le feu aux poudres. Puis il sort en silence de Siget. « Au moment prévu par lui, la citadelle saute en l’air avec des milliers de Turcs, et Prebek satisfait s’en retourne en chantant vers ses frères les Croates. »

Katchitj revient sans cesse à ses braves amis et capitaines des bouches de Kataro. Il nous les montre en courses perpétuelles le long de la Skenderie ou Albanie et de la Morée, attaquant les sambeks et les tartanes, navires de guerre musulmans, montant comme des lions à l’abordage, brisant tout ce qui résiste et submergeant les plus gros vaisseaux.


« Déjà avant Jésus-Christ, dit-il, les fils de Kataro étaient redoutables. Leur golfe fut le dernier refuge de l’indépendance illyrienne. Combien d’assauts des légions romaines ne repoussèrent-ils pas du haut de leur rocher de Perasto ! Maintenant ce sont eux qui, au nom du doge latin, poursuivent partout à outrance les haïdouks de la mer, et leur donnent souvent la chasse jusque sous les murs de Tunis et d’Alger. Ils sont rapides à l’attaque comme leurs frères d’Hertsegovine ; ils manient la carabine comme des Monténégrins et le sabre comme des Magyars. Ils ont la fierté bosniaque et l’intelligence italienne ; ils sont riches comme des Hollandais et persévérans comme des Anglais.