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Les Anglais s’honorent par la courtoisie qu’ils conservent dans la défaite. Quand l’America a battu leurs yachts à l’île de Whigt, la reine a félicité les vainqueurs. Les vaincus ont applaudi de fort bonne grâce. J’ai entendu des Américains convenir qu’en cas de défaite ils n’en auraient pas fait autant.

Philadelphie passe pour une des villes où il y a le plus de culture scientifique et littéraire, et ce que j’ai vu me porte à le croire. Elle possède un musée d’histoire naturelle remarquable surtout par une belle collection d’oiseaux. Science à part, un plaisir dont je ne me lasse point, c’est de regarder de beaux oiseaux, et je comprends l’enthousiasme de deux ornithologistes qui passèrent leur vie à courir les forêts de l’Amérique pour y étudier les mœurs des oiseaux dont ils ont publié les figures dans deux ouvrages bien connus et appréciés des naturalistes ; ces deux hommes sont Wilson et Audubon. Wilson, Écossais de naissance, ami de Burns, et qui avait lui-même essayé de la poésie dans sa jeunesse, arriva sans le sou en Amérique. En traversant les forêts de la Delaware, la vue d’un bel oiseau du pays, le pic à tête rouge, le remplit d’une admiration qui décida de toute sa carrière. Tour à tour colporteur et maître d’école, il entreprit de dessiner et ne réussit que pour les oiseaux ; il avait la vocation de l’ornithologie. Sans autre appui qu’une volonté forte, il conçut le projet de colliger et de dessiner tous les oiseaux de l’Amérique du Nord, et il se mit à l’œuvre, seul de sa personne, menant au milieu des forêts, parmi les Indiens, la vie d’un coureur de bois et presque d’un sauvage. Là il était heureux, observant les habitudes des oiseaux et jouissant avec enthousiasme de la solitude ; il souffrait au contraire dans les villes, « forcé, disait-il, d’oublier les harmonies des bois pour le fracas incessant des cités, et entouré de livres moisis. » Le seul livre dans lequel il étudiait avec plaisir était le livre de la nature. Dans ses courses errantes, il avait un double but : « Je vais, écrivait-il, à la chasse des oiseaux et des souscripteurs. » Les seconds étaient plus difficiles à saisir que les premiers ; mais rien ne rebutait Wilson ; sa correspondance, remplie de feu et d’imagination, le montre tantôt au nord dans les forêts du New-Hampshire, où il est pris pour un espion canadien, tantôt à l’ouest, descendant l’Ohio seul dans un petit bateau, et ravi, dit-il, de sentir son cœur se dilater en présence des spectacles nouveaux qui l’entouraient, puis s’en allant à la Nouvelle-Orléans à travers un pays, alors désert, où il fit cinquante lieues sans trouver un endroit habité. Wilson mourut en 1813 après avoir, en surmontant tous les obstacles, publié le septième volume de son ornithologie, à quarante-sept ans.

Wilson aimait et sentait véritablement la nature ; il éprouvait, en présence de la création, ces transports que ne connaissent pas toujours