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les savans de cabinet. Je lis dans une de ses lettres : « Depuis que j’ai essayé de reproduire les merveilles de la nature, je vois une beauté dans chaque plante, fleur, oiseau, que je considère, je trouve que mes idées sur la cause première et incompréhensible s’élèvent à mesure que j’examine plus minutieusement ses œuvres. Je souris quelquefois en pensant que, tandis que d’autres sont enfoncés dans des plans de spéculation et de fortune, sont occupés à acheter des plantations ou à bâtir des villes, j’observe avec ravissement le plumage d’une alouette, ou contemple de l’air d’un amoureux au désespoir le profil d’un hibou. » L’étude ne le rendait pas cruel. « Un de mes écoliers, ajoute-t-il, prit l’autre jour une souris, et aussitôt m’amena sa prisonnière : le soir même, je me mis à la dessiner ; pendant ce temps, les battemens de son petit cœur montraient qu’elle était dans la plus extrême agonie de la peur. J’avais envie de la tuer pour la placer entre les pattes d’un hibou empaillé : mais ayant versé par hasard quelques gouttes d’eau près de l’endroit où elle était attachée, elle se mit à lapper cette eau avec tant d’avidité et à tourner vers moi un tel regard de terreur suppliante, qu’il triompha entièrement de ma résolution : je la détachai aussitôt et lui rendis la liberté. » L’oncle Toby n’eût pas fait mieux, s’il lui avait pris fantaisie d’être naturaliste.

Audubon était Américain de naissance, et sa vie, assez semblable à celle de Wilson, offre de même un remarquable exemple de ce que peut une volonté persévérante unie à une passion indomptable. Cette passion fut la même chez tous deux : l’un et l’autre dévouèrent leur vie à étudier au fond des bois les mœurs des oiseaux, à en reproduire les formes variées. Chez Audubon, les descriptions sont entremêlées des détails les plus intéressans sur les habitudes des oiseaux américains. On voit qu’il a vécu avec eux dans leurs solitudes ; il entremêle même ses descriptions de quelques souvenirs personnels, de quelques esquisses de la prairie, des rives de l’Ohio, du Niagara. Ce qui fait de sa publication une œuvre à part, c’est que les planches coloriées représentent les objets avec leurs dimensions vraies. Pour la première fois, dans un atlas zoologique, un oiseau comme l’aigle ou le dindon a été figuré de grandeur naturelle. Les planches d’Audubon montrent à côté de chaque oiseau la fleur ou le rameau près desquels il se plaît à vivre ; l’attitude est choisie parmi celles qui le caractérisent le mieux. Ce magnifique ouvrage, qu’un Américain a conçu et terminé, a été publié en Écosse avec l’aide d’un artiste anglais.

Dans une sorte de préface, Audubon a raconté comment s’était développé en lui le goût de l’ornithologie d’après nature. Dès son enfance, il ne se plaisait que dans les bois. Le spectacle des êtres