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Les Xénophons de notre temps, ce sont les officiers qui ne veulent point passer colonels parce qu’ils ont des camarades avant eux sur le tableau d’avancement. Plein d’humanité et de sentimens généreux, comme les hommes qui ont souvent exposé leur vie, Xénophon donne son cheval à un soldat éclopé, mais il ne se fait pas faute de rosser les traînards et les fricoteurs, et souvent il laisse voir sa partialité pour le bâton comme moyen de discipline. C’est à son respect pour tout ce qui est autorité qu’il faut attribuer, je crois, ses croyances superstitieuses, son attention aux songes et ses scrupules en matière de présages. Il est aussi ponctuel à s’acquitter de ses sacrifices et autres menus suffrages païens qu’à bien aligner ses hoplites et ses peltastes ; mais d’un autre côté il est toujours homme de grand sens, et de plus très fin, comme un vieux routier de guerre : il connaît toutes les ruses et toutes les friponneries des devins qu’il consulte ; aussi dans l’occasion il les surveille de près, incapable de tricher lui-même, comme faisait Agésilas, qui s’écrivait des oracles dans le creux de la main pour en tirer une contre-épreuve sur le foie des victimes. Xénophon n’était pas un esprit fort comme le roi de Sparte ; jamais pourtant la superstition ne lui fit faire une sottise, seulement il avait grand soin d’être toujours en règle avec ses dieux. Pressé par un capitaine de ses amis de prendre du service dans l’armée de Cyrus, sa résolution bien arrêtée, il consulta son maître Socrate, qui le renvoya à l’oracle de Delphes, conseil un peu étrange de la part d’un si grand philosophe. Xénophon s’en alla fort docilement consulter la Pythie ; mais, au lieu de lui demander s’il devait aller en Asie ou rester en Grèce, il lui adressa cette question : « A quel dieu dois-je sacrifier pour réussir dans l’entreprise où je m’engage ? » - La Pythie répondit : « A Jupiter roi, » et là-dessus Xénophon partit pour l’Asie en sûreté de conscience. Cromwell, très pieux aussi, disait à ses mousquetaires : « Ayez confiance en Dieu et visez aux rubans de souliers. » Cela revient au mot de La Fontaine : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! » Xénophon commence ainsi son traité du commandement de la cavalerie : « Avant tout, il faut sacrifier, et prier les dieux que tu puisses penser, parler, agir dans ton commandement de manière à leur plaire, ayant pour but le bien et la gloire de l’état et de tes amis. » Courier, dont j’emprunte la traduction, parait croire que l’orthodoxie païenne du disciple de Socrate n’est qu’une sage prudence inspirée parle sort de son maître, qu’il n’avait nulle envie de partager. Il se peut en effet que Xénophon tint à ne se pas brouiller avec les fanatiques de son temps ; toutefois il faut se rappeler que la plus grande partie de sa vie se passa loin d’Athènes, soit dans les camps, soit sur une terre hospitalière où les Anytus n’étaient guère à craindre. Je crois plutôt qu’en philosophe pratique,