Le prêtre, relégué dans le temple, sera désormais peu de chose : le poète n’a plus rien de commun avec lui. Dans Homère, le poète nous apparaît sans cesse exalté aux dépens des sacrificateurs et des devins. Là est le charme du monde, homérique : c’est le réveil de la vie profane, la liberté qui s’épanouit au plein soleil, l’humanité sortant des hypogées et secouant le sommeil des temples pour s’élancer dans le champ de l’activité guerrière et se jouer dans les mille aventures de la vie héroïque. La même révolution s’opère dans l’art. L’art hiératique, limité dans ses types, sacrifiant la forme au sens, le beau au mystique, fait place à un art plus désintéressé, dont le but est d’exciter le sentiment de la beauté et non celui de la sainteté. L’Inde ne croit pouvoir mieux faire, pour relever ses dieux, que d’entasser signes sur signes, symboles sur symboles ; la Grèce, mieux inspirée, les façonne à son image, comme Hélène, pour honorer la Minerve de Lindos, lui offrit une coupe d’ambre jaune faite sur la mesure de son sein.
Sans doute le symbolisme perdit quelque chose à cette transformation. La Vénus pudique des premiers âges avait un caractère plus sacré que la courtisane déifiée qui trôna sur les autels, quand Praxitèle eut fait tomber avec les plis de sa robe cet air de retenue qui révélait encore la déesse. Aussi conçoit-on que, par un sentiment fort commun aux époques de décadence religieuse, les dévots des derniers temps du paganisme se soient épris d’une admiration rétrospective pour les formes raides de l’art hiératique, de même que de nos jours l’art grossier du moyen âge paraît à plusieurs la forme véritable de l’art religieux. On ne peut nier en effet que le mystère chrétien, en tant que mystère, ne soit beaucoup mieux compris par Giotto et le Pérugin que par Léonard de Vinci et Titien. M. Creuzer exagère pourtant une idée juste à quelques égards, quand il voit une décadence religieuse, un contre-sens sacrilège dans cette transformation par laquelle on dépouilla les dieux de leur signification physique supérieure pour en faire des personnages purement humains. Il serait facile de montrer que même au point de vue religieux ce fut là un véritable progrès, Phidias n’était pas un impie, comme on voudrait le faire croire, parce qu’il cherchait dans sa propre pensée et non dans la tradition le type de son Jupiter. Des témoignages respectables nous attestent au contraire que cette transformation de l’art correspondit à une renaissance religieuse et contribua à réchauffer la piété dans les âmes. On estimait malheureux ceux qui mouraient sans avoir vu l’image du Jupiter olympien, et on croyait que quelque chose manquait à leur initiation religieuse, parce qu’ils n’avaient pas contemplé la plus haute réalisation de l’idéal. La forme humaine n’est-elle pas le plus expressif des symboles ? Dira-t-on que les canopes, les dieux-vases, les nains emmaillottés de l’âge cabirique, étaient plus significatifs que les dieux éclos du ciseau de Praxitèle et de Phidias ? Il faut se rappeler d’ailleurs que la Grèce saisissait entre les formes humaines et les idées pures mille analogies qui nous échappent, et que, le sens de la nature réelle lui faisant défaut, tout se transfigurait à ses yeux en êtres vivans. C’est bien elle qui éleva Philippe de Crotone au rang des demi-dieux, parce qu’il était le plus beau des Hellènes de son temps ; c’est bien elle qui, pour exprimer la campagne, représentait un faune, qui, pour signifier une fontaine, au lieu d’ombre, d’eau et de verdure, figurait une tête de femme avec