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qui troublaient l’ordre et la paix de l’église, mais, ce qui était peut-être non moins grave à ses yeux, des rebelles toujours prêts à secouer le joug et à réclamer l’assistance des ennemis de sa maison. À son apparition en France, la réforme, qui avait trouvé comparativement beaucoup plus de prosélytes dans les châteaux que dans les chaumières, ressemblait un peu à une révolte de la haute noblesse contre l’autorité royale. Bientôt les grands seigneurs huguenots, mauvais théologiens, embarrassés d’ailleurs pour soutenir une guerre difficile, avaient appelé des ministres dans leurs conseils pour leur fournir des argumens, rédiger leurs manifestes et leur recruter des soldats. De là un élément démocratique tout nouveau et parfois quelque peu embarrassant. Les ministres devinrent des espèces de tribuns du peuple, sortis de ses rangs, interprètes de ses plaintes et de ses passions. Les synodes provinciaux, où les ministres dominaient par leur éloquence et leur caractère sacerdotal, étaient plus dangereux et plus irritans pour les rois que les grandes compagnies telles que les parlemens ; il était plus difficile de les gagner ou de les intimider, car si l’on écartait un pasteur populaire, cent autres se présentaient pour lui succéder. Lorsque l’abjuration de Henri IV et la politique de ses successeurs eurent enlevé à la cause protestante la plupart des grands noms qui l’avaient soutenue d’abord, la tendance républicaine des synodes n’en devint que plus manifeste et plus intolérable pour la royauté. À cette époque, l’issue d’une lutte entre le souverain et les sectaires ne pouvait être douteuse. D’ailleurs la réforme n’avait pour elle ni le nombre ni la force morale ; l’enthousiasme et l’ardeur de ses débuts commençaient à lui faire défaut. La grande majorité du peuple haïssait les religionnaires. L’orgueil des chefs était insupportable, l’austérité de toute la secte semblait un masque odieux ou ridicule à une nation gaie, railleuse, amie du plaisir. On se souvenait des irruptions et des surprises qui avaient livré quantité de villes à une poignée d’hérétiques. Partout des églises profanées, des tombes violées, rappelaient les exploits des protestans. On ne pouvait surtout leur pardonner un crime, dont à la vérité les catholiques s’étaient rendus coupables à leur tour, celui d’avoir appelé les étrangers en France, et de les avoir mêlés à nos querelles nationales.

Leurs malheurs, il faut le dire, n’excitèrent que peu de sympathie. Les catholiques fervens applaudissaient aux rigueurs, les indifférens ne voyaient dans les religionnaires que des fous entêtés. Pour obtenir des conversions, toutes les manœuvres étaient permises, et c’était à qui s’ingénierait pour forcer les sectaires à L’abjuration. On leur payait l’apostasie, on leur faisait payer l’attachement à leur croyance. Leurs contributions étaient doublées, on faisait peser sur eux la lourde charge des logemens militaires. Ce dernier moyen de persuasion, qui