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n’étaient coupables d’aucun crime, sinon de professer la croyance des presbytériens. » Il n’en fallut pas davantage pour le décider. Échappé aux dragons, il était prêt à braver les jurés de Jeffreys ; il se reconnut aussitôt pour presbytérien et refusa le bénéfice qu’on lui offrait. D’ailleurs Jeffreys, qui en voulait surtout aux presbytériens riches, laissa en repos les pauvres réfugiés français.

Pour vivre et faire vivre sa femme, qui bientôt lui donna un nombre très respectable d’enfans, Fontaine se fit tout à la fois épicier, mercier, chapelier : puis il s’avisa de fabriquer du drap. Telle était alors l’ignorance des arts industriels en Angleterre, que notre brave ministre se fit une petite fortune en inventant ou plutôt en important un procédé très grossier pour débarrasser le drap des longs poils qui restent à sa surface après le tissage. Aujourd’hui on connaît vingt machines plus ingénieuses les unes que les autres pour tondre les draps. Fontaine brûlait tout bonnement les longs poils avec une torche de paille dont la flamme passait assez rapidement pour ne pas roussir l’étoffe. Il avait tout d’abord trouvé le tour de main qu’il fallait pour réussir dans cette opération délicate. Pour le temps, c’était une découverte assez importante, qui naturalisait une industrie en Angleterre. On sait que ce n’est pas la seule qu’elle ait gagnée à la révocation de l’édit de Nantes.

La révolution de 1688, en émancipant les presbytériens, rendit Fontaine à ses travaux spirituels, sans pourtant l’arracher entièrement à ses spéculations industrielles et commerciales. Nommé ministre d’une communauté de réfugiés établis à Dublin, il ne tarda pas à se brouiller avec ses ouailles, qu’il paraît avoir menées un peu militairement. Il les quitta pour aller prêcher l’Évangile et fonder un établissement de pêcheries dans le nord de l’Irlande, en pays de catholiques ou plutôt de sauvages. Là avec sa femme, ses enfans et quelques domestiques, la plupart français, il pêchait et prêchait, toujours sur le qui-vive, au milieu de paysans qui le haïssaient doublement en sa qualité d’étranger et d’hérétique. Le gouvernement anglais favorisait autant qu’il lui était possible alors ces établissemens dans la partie septentrionale de l’Irlande ; c’étaient comme autant de petites colonies protestantes intéressées à y maintenir l’autorité du nouveau prince. Fontaine, ayant remarqué que la baie où il avait fixé sa demeure recevait d’assez fréquentes visites des corsaires français, s’adressa au duc d’Ormond, lord-lieutenant d’Irlande, et lui proposa d’élever un fort qui défendrait ses pêcheries et toute la baie. Surpris de voir un ministre disserter doctement sur l’art de la guerre, le duc lui répondit un peu sèchement : « Priez Dieu pour nous, monsieur ; nous saurons bien vous défendre. » Fontaine se mordit les lèvres, et rempocha son projet de fort ; mais quelques mois plus tard il écrivait au duc : « Milord, je me suis acquitté fidèlement