Aussi longtemps que les calvinistes étaient restés les sujets de Louis XIV, ils s’étaient tenus prudemment sur la défensive : du moment où ils eurent franchi la frontière, ils commencèrent l’attaque avec une vivacité sans égale. L’esprit de parti s’allia à l’esprit de secte. Bayle fraya la voie où bientôt Voltaire devait entraîner son siècle. En 1689, le livre intitulé les Soupirs de la France esclave mit en cause le principe de la royauté, et fit pour la première fois un appel à la nation contre le monarque qui la gouvernait. Claude, dans un autre écrit non moins célèbre, les Plaintes des protestans de France, publia un manifeste violent en faveur de la coalition contre Louis XIV. Jurieu se posa fièrement en adversaire de Bossuet. Les Hollandais, qui gardaient de notre injuste agression un profond ressentiment, laissaient faire et laissaient dire. Tous les livres proscrits, tous les livres précurseurs des grandes secousses politiques, les Contes de La Fontaine, le Contrat social, la Nouvelle Héloïse, l’Emile, et une foule de pamphlets hostiles au gouvernement français ou au catholicisme, furent imprimés dans les Provinces-Unies. C’est là qu’est née la presse périodique ; c’est là qu’ont été fondées les premières revues, telles que la Gazette de Harlem, le Mercure historique et politique, qui devint plus tard la Gazette, de Leyde, si célèbre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Bibliothèque universelle, la Bibliothèque choisie, la Bibliothèque des Sciences, etc. Ce furent des réfugiés, tels que Basnage, Elie Benoît et Michel Janiçon, qui dotèrent les premiers la Hollande de travaux vraiment sérieux sur sa propre histoire. La langue française se substitua partout à la langue latine, dont l’usage était général dans les écoles hollandaises. Cette propagation de l’idiome national fut, il faut en convenir, une faible compensation pour les dommages que les émigrés calvinistes causèrent à leur ancienne patrie, et cette importation de notre langue, au lieu d’étendre notre influence, ne servit qu’à la combattre et à l’atténuer. À l’exception de Bayle, les publicistes français naturalisés en Hollande furent avant tout des pamphlétaires et des controversistes de circonstance. D’ailleurs le français, tel qu’ils l’écrivirent, perdit bientôt sa verve et son éclat ; il prit une tournure hollandaise, et devint, sous le nom de français réfugié, une langue à part, toute hérissée de barbarismes.
En Angleterre, les réfugiés n’avaient pas trouvé un accueil moins sympathique qu’en Hollande. Longtemps avant la révocation de l’édit de Nantes, la cause des protestans français était regardée en Angleterre comme une cause nationale. M. Weiss cite même un mémoire du British Muséum dans lequel on cherchait à établir qu’en France le protectorat des réformés appartenait de droit à la Grande-Bretagne. Aussi, durant les longues guerres du XVIe siècle, le gouvernement anglais ne cessa-t-il jamais d’intervenir d’une manière plus ou moins directe dans nos luttes religieuses. Il aida puissamment au triomphe d’Henri IV, et ce fut là, sans aucun doute, un des services les plus signalés qu’une alliance anglaise ait jamais rendus à la France, car Henri IV représenta l’ordre après l’anarchie, la tolérance après l’esprit de fanatisme, la grandeur et la force du pays après de longues années d’épuisement et de faiblesse.
Déjà, dans les invasions des XIVe et XVe siècles, les Anglais, on le sait, avaient eu soin de transporter en Angleterre les ouvriers français les plus