Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Angleterre, et il doutait quelquefois s’il était roi, trouvant sa politique moins libre, sa volonté moins à l’aise dans le palais de Henry VIII et d’Elisabeth que dans la résidence presque municipale de Guillaume le Taciturne. Il n’accepta souvent qu’avec effort les conditions qui lui étaient faites ; plusieurs fois il menaça de déposer son autorité plutôt que de la garder à ce prix, et il fallut toute la supériorité de son âme pour qu’il consentit à exécuter loyalement, contre son orgueil et contre sa raison, les clauses du contrat passé entre la nation et lui. Ce ne fut pas sans combats qu’il parvint à mettre d’accord son rôle et sa nature, et à demeurer à la fois un roi constitutionnel et un grand homme. Il y réussit cependant. De lui date cette forme nouvelle et perfectionnée de la royauté dans le monde, et il est probable que d’ici à plus d’un siècle, peu de monarques auront autant de mérite à l’accepter ; car si elle gêne les grands hommes, elle élève les hommes ordinaires. Mais s’il tint suffisamment sa parole, il disputa tout ce qu’il put disputer ; il ne dissimula ni scrupules ni ennuis, et son humeur mélancolique, sa froideur un peu défiante, ses manières simples et sévères, sa fierté qui dédaignait de plaire, ses amitiés exclusives, sa rare bienveillance, sa discrétion impénétrable, enfin ses qualités autant que ses défauts, éloignèrent de lui la faveur publique à ce point qu’un historien a pu dire avec raison que Guillaume III fut un roi moins populaire que Charles II.

Ce contraste entre son caractère et sa situation rendit laborieuse cette première expérience de la monarchie représentative. Tout fut contesté ; chaque pas fut lent et parut hasardé. On ne revint pas en arrière, mais on avança péniblement. Les hésitations ébranlèrent la confiance ; chaque victoire trop disputée ne put être obtenue sans transaction, et parut incomplète, ou laissa quelque ressentiment au vainqueur. On ne sut gré de rien : on ne se sentit pas toujours rassuré ni satisfait ; mais on apprit à réussir et à mériter, on apprit l’obstination et la prudence, ces deux vertus des peuples libres. Ainsi l’on gagna plus en réalité qu’on ne l’aurait fait, si la vie politique eût été plus facile ; mais les esprits absolus se plaignirent, les esprits faibles se troublèrent, les esprits hostiles prirent soin de tout envenimer. Tandis que ceux qu’on appelait les whigs républicains, et qui n’étaient guère que des libéraux défians, s’irritaient que la révolution portât si peu de fruits, ou les portât si péniblement, les jacobites demandaient ironiquement si elle valait ce qu’elle avait coûté, et exigeaient d’elle plus que de raison, habiles à trouver dans les institutions des armes contre les institutions mêmes. Ces opinions extrêmes se rencontraient parfois réunies dans une opposition querelleuse. Les whigs, qui pendant douze années restèrent prédominons, étaient bien obligés, en maintenant dans les lois les