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elle rencontra de graves obstacles ; je crois cependant que si le gouvernement français avait persisté dans son désir d’acquérir Bassilan, il lui eût été facile d’obtenir plein succès, à force de piastres, argument irrésistible aux yeux des Malais.

Après ces pourparlers, aucune affaire ne nous retenait à Soulou, et le 22 février l’escadre remit à la voile pour Bassilan. La Cléopâtre, la Victorieuse, la Sabine et l’Archimède se trouvèrent de nouveau réunis au mouillage de Maloço, en vue du territoire appartenant à la tribu du chef Youssouk. Les équipages, qui appréciaient médiocrement les lenteurs de la diplomatie, étaient impatiens du venger sur cette bande d’assassins le meurtre de leurs camarades. Les mesures prises à bord de chaque navire par ordre de l’amiral annonçaient une expédition prochaine. Enfin le 27 février, au point du jour, toutes les embarcations furent armées en guerre : une partie, sous le commandement du capitaine de vaisseau de Candé, se dirigea vers l’embouchure de la rivière de Maloço, où l’on savait que les Malais avaient établi une forte palissade, tandis que les autres canots allaient déposer sur la plage une compagnie de débarquement qui devait pénétrer à travers bois dans l’intérieur de l’île, et prendre à revers la position de l’ennemi. Ces mesures paraissaient bien combinées : malheureusement la forêt était trop épaisse pour que la compagnie de débarquement, embarrassée par l’artillerie de campagne, pût s’y frayer un passage, et tout le poids de la lutte porta sur le détachement qui s’était engagé dans la rivière, arrivée devant la palissade, les canots furent accueillis par une décharge de mitraille qui tua deux hommes. Ils ripostèrent avec leurs caronades ; mais les boulets frappaient vainement les énormes troncs d’arbres derrière lesquels les Malais s’étaient mis à l’abri, et la lutte menaçait de se prolonger, lorsque le commandant de Candé eut l’idée de débarquer avec une partie de ses hommes, et de tourner la palissade par terre. Cette manœuvre réussit. Les Malais, attaqués à l’improviste, prirent immédiatement la fuite, laissant entre nos mains leurs armes, un canon et quatre espingoles, qui plus tard furent portés à Paris comme trophées de cette petite expédition. Le lendemain, les équipages retournèrent sur le lieu du combat. Les Malais avaient tout abandonné ; leur village, situé à peu de distance de ; la palissade, sur les deux bords de la rivière, était désert. Les matelots se dispersèrent par bandes dans la plaine ; le feu fut mis à toutes les cases et aux greniers de riz ; on abattit les cocotiers et les bananiers ; on fit la chasse aux buffles, aux poules, etc. En quelques heures, le village de Youssouk était réduit en cendres, et la population complètement ruinée. Sans doute une nation civilisée ne doit point se glorifier de tels exploits : quand on envisage froidement cette œuvre de dévastation, où l’homme vient détruire comme à plaisir les fécondes richesses du sol, quand on songe aux misères que laisse après elle l’aveugle razzia, on se sent disposé à condamner le vainqueur et à lui contester le droit de pousser ainsi à l’extrême la raison du plus fort. Cependant, il faut bien le dire, il n’y a point d’autre moyen de châtier ces peuplades incorrigibles qui sont perpétuellement en guerre contre la propriété d’autrui. De pareilles exécutions sont indispensables pour contenir ces tribus de bandits et de pirates ; ce sont les seuls argumens qu’elles comprennent, les seules vengeances qu’elles redoutent ; et la civilisation est condamnée à