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paroles. Nobles imprudences après tout, et qui s’expliquent assez par le désir de consoler les âmes affligées ! Après tous les dévergondages de nos jours, après les efforts qu’a faits une sophistique éhontée pour déchaîner en nous la bête féroce, comment ne pas prendre plaisir à voir la vie morale du genre humain glorifiée avec confiance en d’idéales peintures ?

Le mouvement signalé par les réformes de M. Rosenkranz, par les théories morales de MM. Fichte et Chalybaeus, se développe de jour en jour avec une activité croissante. M. H. Fichte dirigeait autrefois un recueil philosophique qui avait disparu dans la tourmente de 1848 ; ce recueil vient de reparaître, et ses premiers numéros attestent le zèle du groupe sérieux que je rassemble ici. Ce n’est pas M. Fichte tout seul qui préside à l’entreprise ; il s’est associé deux esprits fort distingués, M. Ulrici et M. Wirth. M. Ulrici est un de ces écrivains judicieux qui se sont mis naturellement en garde contre le danger des vides abstractions par l’étude de l’homme tout entier. Nous avons déjà dit, à propos de M. Rosenkranz, combien la pratique des travaux littéraires avait rendu de services à la philosophie ; M. Ulrici a mené de front l’histoire de l’art et les recherches métaphysiques. En même temps qu’il attaquait les prétentions de l’idéalisme [du Principe et de la Méthode de la philosophie hégélienne, Halle 1841), il publiait un remarquable tableau de la poésie grecque, et des études sur Shakspeare qui étaient, sans contredit, avant l’important ouvrage de M. Gervinus, le meilleur travail que l’Allemagne possédât sur le grand poète anglais. M. le docteur Wirth, celui-là même que nous avons vu critiquer sévèrement le système de M. Rosenkranz et obtenir de lui d’intéressantes explications, s’est attaché dans tous ses écrits à revendiquer la personnalité de l’homme contre le panthéisme de Hegel. On s’aperçoit aisément que M. Wirth a étudié Leibnitz avec amour, et, en s’inspirant de ce mâle penseur, qui pourrait donner tant de leçons à l’Allemagne d’aujourd’hui, il a fourni une indication qui, je l’espère, ne demeurera pas stérile. Ces deux hommes étaient les collaborateurs naturels de M. H. Fichte ; une même inspiration les anime. On ne saurait affirmer qu’ils soient d’accord sur tous les points : ce sont des esprits qui cherchent, mais ils cherchent du moins sur un terrain qui leur est commun à tous trois ; ils proclament un Dieu personnel, un Dieu libre, un Dieu vivant, et ils veulent protéger contre les sophistes la dignité morale de l’homme.

L’entreprise de MM. H. Fichte, Ulrici et Wirth excite en ce moment une vive attention en Allemagne. Or, ce qu’on aime surtout dans ce recueil, c’est précisément ce que je suis obligé d’y blâmer, je veux dire une bienveillance excessive et disposée à tout admettre. Le recueil de M. Fichte, dans sa première période, était l’organe timide d’une école, mais cette école était assez bien définie ; depuis que son ambition est devenue plus haute, il a perdu, par une contradiction étrange, la sévérité d’allures qui déviait être son premier devoir. Le danger des systèmes exclusifs, disent d’excellens esprits, a été clairement dévoilé, et l’infatuation philosophique a été poussée à ses dernières limites : n’est-ce pas un bon symptôme qu’une association d’intelligences libres et sincères cherchant la vérité dans toutes les routes de la science ? Un penseur distingué que nous retrouverons tout à l’heure, M. Fortlage, disait tout récemment à ce propos : « Les écoles exclusives sont comme la cellule