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lui au parlement, du temps qu’il était secrétaire de la guerre. Il est un des principaux orateurs whigs. »


Cette situation est exprimée avec beaucoup de force dans ce fragment de lettre de Saint-John à lord Strafford :


« 15 décembre 1711. — Vous avez raison, nous sommes les plus mauvais hommes politiques et les meilleurs hommes de parti qu’il y ait sous le soleil. Ceux qui s’opposent aux mesures de la reine savent aussi bien que nous, qui les soutenons, que la guerre est devenue impraticable, que le but auquel ils prétendent viser est chimérique, et qu’ils ruinent leur pays en poursuivant ce plan vain et fastueux qui nous a éblouis tant d’années ; mais ils en courent le risque, et ils sacrifieraient bien davantage, si plus grand sacrifice est possible, pour regagner au pouvoir que rien que la détresse nationale ne peut ramener ou du moins assurer dans leurs mains. La vraie, la réelle, la naturelle force de la Bretagne appartient à d’autres. Leur puissance à eux est fondée sur une force accidentelle que la nécessité publique a créée, et qu’entretiennent les avantages gagnés par des gens adroits condamnés à n’en plus recueillir de pareils, si la guerre finit. Maintenant que j’ai la plume à la main, je ne puis m’empêcher de vous dire que, dans ma sincère conviction, c’est ici la plus grave conjoncture où prince se soit vu, depuis le temps où l’aïeul de votre excellence fut attaqué par la faction qui commença par lui la tragédie qu’elle ne devait pas finir, même en frappant son maître. Ce roi scella l’ordre de sa propre exécution, lorsqu’il livra son serviteur, et votre maîtresse n’a aucun moyen de se garantir elle-même que de déployer son pouvoir pour protéger les ministres qui l’ont délivrée d’un esclavage domestique, et qui vont l’affranchir d’une oppression étrangère. Je ne vous tromperai jamais, mon cher lord ; je ne le voudrais pas, fut-ce de la plus pardonnable, de la plus agréable manière, en vous cédant des dangers réels et en vous donnant de fausses espérances. Vous pouvez donc vous fier à moi, quand je vous dis que je crois tout en sûreté et la reine décidée. La seule difficulté qui la tourmente, c’est, outre un peu de lenteur naturelle, l’habitude qu’elle a prise de la duchesse de Somerset, et la crainte de ne pas trouver quelqu’un qui lui plaise pour remplir une place si rapprochée de sa personne. »


Ceux qui ont vécu dans l’intérieur du gouvernement jugeront de la vérité de ces divers tableaux. Craintes, soupçons, découragemens, forfanterie, crédulité, défiance, ressentimens, pronostics, précautions, enfin faussetés ou exagérations de toute sorte, tel est le monde politique. La situation était critique et le pas difficile à franchir ; mais le mal n’était pas si avancé que se le faisait l’imagination inquiète du docteur, et tout n’était pas non plus si bien prévu ni si sagement préparé que le lui promettait le confiant ministre. Swift eut encore à subir des confidences désespérantes de lord Dartmouth, de Lewis, à qui Oxford disait toujours : Bah ! bah ! /tout ira bien ; mais il reprit courage, quand Abigaïl Masham lui annonça qu’il y aurait une promotion de pairs dans laquelle son mari serait compris ; on lui donna