Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Elle est aussi vaine que les négociations, dit-il ; nous sommes amusés au dedans par les ministres, joués au dehors par les ennemis. » Saint-John ne put se contenir, et il avoua avec émotion qu’il se sentait blessé par des insinuations qui portaient jusqu’à sa majesté. Pour de moindres offenses, des membres avaient été envoyés à la Tour ; mais il espérait, si l’orateur avait cherché cet honneur, que la chambre serait d’un autre avis. Saint-John dut être éloquent sur ce thème, et nous n’avons de son discours que ces paroles de procès-verbal, auxquelles sir Richard Onslow fit une réponse célèbre. Il qualifia cet emploi du nom de la reine de violation des privilèges du parlement (22 mai 1712).

Il n’était que trop vrai cependant que la reine était personnellement engagée dans le double jeu auquel se condamnait son gouvernement. L’Angleterre ne faisait plus la guerre qu’en apparence. Ce fut la reine elle-même qui, sans avoir prévenu Saint-John (il le raconte ainsi), proposa en conseil de donner au duc d’Ormond l’ordre de rester inactif les armes à la main. Au premier moment, le secrétaire d’état, inquiet, voulût hasarder un doute ; mais elle fit un certain mouvement d’éventail qu’il connaissait pour le signe d’une résolution prise, et il se soumit. Les instructions générales données au duc lui prescrivaient de poursuivre la guerre avec vigueur, et l’instruction particulière que Saint-John écrivit, par le commandement de la reine, lui interdit d’entreprendre aucun siège ou de risquer aucune bataille sans une expresse autorisation. Le même jour, cette résolution, secrète pour les alliés, était communiquée à la France, et par elle à Villars, qui commandait son armée. Ormond était un homme léger, mais brave, et qui prétendait au caractère chevaleresque. Son gouvernement le mettait, il faut en convenir, dans une situation peu digne de sa loyauté. Pressé d’agir par Eugène, qui voulait attaquer Le Quesnoy, Ormond refusa sous divers prétextes. Villars, qui avait les mêmes instructions, croyant à une suspension d’armes de fait, se gardait négligemment. Eugène apercevait des occasions favorables ; il les voulait saisir, et il en était toujours empêché par les objections ou les lenteurs du général anglais. Les alliés soupçonnaient qu’ils étaient trahis. Ormond colorait comme il pouvait sa conduite. Il avoue dans ses lettres à Saint-John qu’il est souvent bien embarrassé, et que ce jeu ne pourra durer longtemps. Il parvint ainsi à entraver quelques opérations importantes ; mais il ne put refuser aux alliés des détachemens d’auxiliaires. Villars se plaignit ; Ormond s’excusa, alléguant la fausseté de sa position et promenant de ne s’associer comme partie principale à aucune offensive. C’était déjà trop pour le prince Eugène et pour les états-généraux, et quand leurs plaintes furent portées à Urecht, l’évêque de Bristol,