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ainsi saint Marc est un homme à tête de lion, saint Luc un homme à tête de taureau, saint Jean un homme à tête d’aigle. Au temps de saint Bernard, ces étranges décorations se montrent partout ; ce grand homme s’en effraie et veut les proscrire : « Que signifient, dit-il, dans les cloîtres ces monstrueuses figures ? Sont-elles là pour troubler les moines dans leurs prières ? Que nous veulent ces singes, ces lions, ces centaures, ces êtres moitié hommes et moitié bêtes ?… Là ce sont plusieurs corps avec une seule tête, là plusieurs têtes sur un seul corps ; c’est un quadrupède avec une queue de serpent, un serpent avec une tête de quadrupède. Ici c’est un cheval-chèvre, etc.[1]. » Malgré les anathèmes du saint, tous les êtres hybrides du polythéisme et de la barbarie n’en continuèrent pas moins à envahir les monumens, et comme dans ce même temps la zoologie fantastique et symbolique était popularisée tout à la fois par les auteurs des Bestiaires, par les poètes, les encyclopédistes et les théologiens, tous les êtres du monde réel et du monde de la vision se montrèrent dans les églises avec la même physionomie, les mêmes attributs, la même signification que dans les légendes des hagiographes, les écrits des mystiques, les traités des naturalistes.

De même que, dans les écrivains ecclésiastiques, les hommes sont toujours partagés en deux classes distinctes, — les élus et les réprouvés, — de même dans la symbolique chrétienne les animaux peuvent se diviser en deux catégories, exprimant l’une l’idée du bien, de la vertu, de la pureté, l’autre l’idée du vice, de la dégradation, de l’impiété. Ceux qui appartiennent à la première catégorie forment le cortège du Christ et des saints, ceux qui appartiennent à la seconde le cortège de Satan, des infidèles et des impies : mais comme les Bestiaires attribuent souvent au même animal des instincts tout à fait différens, il en résulte que cet animal, dédoublé en quelque sorte, symbolise quelquefois le mal et le bien, les anges de lumière et les anges des ténèbres. Comme il serait impossible, en un sujet aussi vaste et aussi complexe, de nous arrêter à tous les détails, nous nous bornerons à citer ici quelques exemples, on choisissant, comme nous l’avons fait pour les traditions légendaires, ceux qui nous paraîtront les plus caractéristiques.

Dans la littérature mystique, l’un des principaux rôles appartient sans contredit à la colombe, qui intervient sans cesse comme une intermédiaire céleste entre l’homme et Dieu. La colombe se pose sur le berceau de Néophyte encore enfant, et prédit à sa mère les saintes destinées qui l’attendent ; elle vole ceinte du nimbe au-dessus de la tête de saint Polycarpe au moment où le peuple le nomme évêque ;

  1. Bernardi Opéra, Paris, 1642, In-folio, t. III, p. 346.