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sur la façade méridionale de la cathédrale de Chartres, on voit reparaître cette large gueule du dragon qui, sur les théâtres du moyen âge, représentait l’entrée de l’enfer, et dans laquelle des démons poussent les damnés à grands coups de fourche.

La décoration des tombeaux comme celle des églises offre de nombreux emblèmes zoologiques. À une époque très reculée et antérieurement au XIIe siècle, pour indiquer que les morts, au moment suprême, s’étaient réconciliés avec Dieu, on suspendait au-dessus de la dalle de pierre qui recouvrait leurs restes une colombe de métal ou de bois argenté ou doré, ce qui signifiait que leur âme s’était envolée vers les régions de l’éternelle béatitude. Sur la sépulture des guerriers qui succombaient dans un combat, on fixait une lance au sommet de laquelle planait une colombe, le bec tourné dans la direction du champ de bataille où ils avaient trouvé la mort. Le lion sur le tombeau d’un chevalier indiquait qu’il avait péri dans une expédition militaire ; un lévrier, qu’il s’était éteint paisiblement en temps de paix. Le lion, pris comme signe du rang suprême, était aussi placé sur les monumens funéraires des rois, et on le retrouve comme image du démon vaincu sur ceux de quelques grands personnages de l’église. Combiné avec le dragon, il se rapporte encore au triomphe de la piété sur l’esprit du mal et le péché.

En rapprochant, les emblèmes zoologiques dispersés sur les monumens du moyen âge, il est impossible de ne pas reconnaître qu’ils sont tout à la fois, comme nous l’avons dit, l’expression des croyances scientifiques, théologiques et populaires ; mais tout en faisant une grande part à la simple fantaisie, il reste encore un ensemble de doctrines assez vaste pour que l’archéologie religieuse se lie d’une manière intime à l’histoire philosophique du passé. Il y a là le cachet original d’une grande civilisation, et comme si le moyen âge avait voulu y laisser l’empreinte complète de son esprit, nous y retrouvons encore, à côté des plus hautes aspirations de l’ascétisme, cette protestation cynique, impie, burlesque, qui, dans les traditions écrites, se révèle par le Roman de Renart. Sur un grand nombre de monumens religieux, les animaux, ainsi que dans ce roman célèbre, sont présentés comme une véritable contrefaçon de l’homme. Ils parodient ses actions, ses vices, ses talens. Le renard cultivateur de l’épopée satirique est remplacé sur la cathédrale de Chartres par une truie occupée à battre le beurre. Des singes grimaçans jouent de la flûte sur les chapiteaux des églises, des ânes pincent de la harpe, et des truies tournent le fuseau. Renart, le héros du roman, parait à son tour, comme si renardie devait être représentée partout, et il se montre tel que nous le verrons dans le poème, habile à engaignier, hypocrite et trompeur, et revêtant même, pour mieux tromper, l’habit du prêtre